(Montréal) Des opposants à la loi québécoise sur la laïcité de l’État ont officiellement demandé à la Cour suprême du Canada de se pencher sur le refus des instances inférieures à en suspendre certaines dispositions pendant la durée de la contestation judiciaire sur le fond.

La Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel ont toutes deux rejeté l’an dernier la requête du Conseil national des musulmans canadiens, de l’Association canadienne des libertés civiles et d’Ichrak Nourel Hak, une étudiante en pédagogie qui porte le hidjab.

Les plaignants soutiennent que la loi est discriminatoire et cause des torts irréparables et immédiats aux minorités religieuses — surtout en fait aux femmes musulmanes. Ils aimeraient que les tribunaux suspendent deux articles de la loi le temps que l’on entende la contestation sur le fond.

La Loi sur la laïcité de l’État, adoptée en juin dernier à l’Assemblée nationale, interdit notamment aux employés de l’État en position d’autorité coercitive, comme les juges, les policiers et les gardiens de prison, de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette interdiction s’étend aussi aux enseignants du réseau public.

La loi reconnaît toutefois un droit acquis aux personnes qui étaient déjà en poste en mars 2019, lorsque le projet de loi 21 a été déposé, à condition que ces personnes conservent leurs fonctions actuelles. La loi comporte aussi une disposition de dérogation pour la soustraire à certains articles des chartes des droits et libertés, notamment le droit à la liberté de religion.

Pour suspendre temporairement l’application d’une loi, la Cour doit pondérer le préjudice invoqué en tenant compte de l’intérêt public. Le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure, a conclu le 18 juillet dernier que les requérants n’avaient pas démontré que la loi était suffisamment préjudiciable pour que le tribunal suspende immédiatement l’article qui interdit à certains employés de l’État de porter des signes religieux au travail, et l’article qui oblige les gens à donner ou à recevoir des services publics à visage découvert. Le juge Yergeau avait aussi précisé que les requérants étaient limités dans leur demande à cause de la disposition de dérogation.

En novembre, deux des trois juges en Cour d’appel ont conclu que le débat sur les questions constitutionnelles soulevées était complexe et méritait de s’y pencher en profondeur — et non pas dans le cadre d’une demande de suspension temporaire. Dissidente, la juge en chef, Nicole Duval Hesler, a demandé : « qui a le plus à perdre » dans le maintien de la loi : « les allergies visuelles de certaines personnes (aux signes religieux) ou le fait que des enseignantes perdent le droit de s’engager dans le travail de leur choix ? ».

La Cour suprême devra d’abord décider si elle entendra l’affaire.