Un avocat qui représentait Sami Bebawi, l’ancien vice-président directeur de SNC-Lavalin accusé de corruption, a été enregistré à plusieurs reprises alors qu’il offrait « huit à dix » millions de dollars au témoin principal de la couronne pour le convaincre de changer son témoignage.

Constantine Kyres, à l’époque avocat montréalais du cabinet Dentons, tentait d’organiser cette transaction, même si d’autres avocats de Sami Bebawi, des experts en droit criminel, étaient peu favorables à ce genre de manœuvre.

« Les avocats criminalistes, ils ont leur propre mentalité. Ils disent plutôt “sois prudent, sois prudent, sois prudent”. Mais moi je suis plutôt un avocat commercial », disait Me Kyres dans une conversation enregistrée par la GRC en 2013. L’enregistrement a été joué au procès de Sami Bebawi mercredi.

Agent d’infiltration

À l’époque, Riadh Ben Aissa, ancien responsable des projets de SNC-Lavalin en Libye, était détenu en Suisse. Il avait accepté de collaborer avec les autorités et avait donné une déclaration qui incriminait son ancien supérieur hiérarchique au sein de la compagnie, Sami Bebawi.

Pendant sa détention, il dit avoir reçu une offre de la part de Me Kyres, un représentant de Sami Bebawi. « On m’a offert 10 millions en échange de reprendre la version de Sami Bebawi », a-t-il expliqué devant la cour.

M. Ben Aissa dit avoir alerté la GRC de cette offre. La police a alors envoyé un agent d’infiltration rencontrer Me Kyres en se faisant passer pour un « consultant » embauché pour organiser le versement des 10 millions et le changement de version du témoin.

Ce policier opérant sous une fausse identité portait un micro caché. Au cours de plusieurs appels téléphoniques et rencontres, il a enregistré Me Kyres. Les enregistrements ont été présentés au procès de Sami Bebawi mercredi.

Paranoïaque

À la première rencontre de deux hommes, dans la salle de réunion du cabinet Dentons, au 39e étage de la Place Ville Marie, Constantine Kyres s’est montré méfiant. « Vu la nature sensible de ce dont nous devons discuter, peut-être que nous devrions éteindre tous nos téléphones ? Est-ce que je suis paranoïaque ? » demandait-il.

Au fil des conversations, Me Kyres a parlé d’une somme de huit à dix millions, qui a ensuite été réduite à quatre millions. Mais si le montant changeait, les exigences demeuraient les mêmes : Riadh Ben Aissa pourrait avoir l’argent s’il acceptait de changer sa version des faits pour adopter celle qui serait dictée par Sami Bebawi et ses avocats.

Me Kyres disait que les sommes étaient dûes à Riadh Ben Aissa de toute façon, mais qu’elles seraient versées seulement s’il revenait sur ses déclarations antérieures. Il disait que si M. Ben Aissa refusait, non seulement il n’aurait pas l’argent, mais son ancien supérieur révèlerait publiquement des faits embarrassants pour lui.

« Pourquoi devrions-nous donner huit à dix millions s’il ne reconnaît même pas la vérité telle que nous la voyons ? », martelait Me Kyres.

Méfiance

Le faux consultant a expliqué que ce dernier était convaincu d’avoir dit la pure vérité aux autorités, mais qu’il pourrait plier et adopter la version de son ancien supérieur afin de faire un gain financier.

À plusieurs reprises au cours des conversations, Me Kyres a réclamé une preuve concrète que le « consultant » travaillait bel et bien pour Riadh Ben Aissa.

« Autant que je sache, tu pourrais travailler pour le gouvernement ! Ou tu pourrait travailler pour des journalistes ! » a-t-il lancé.


L’agent d’infiltration poursuit son témoignage jeudi.