Des millions en liquide gardés dans un bureau, des devises achetées sur le marché noir, des frais de consultants inexplicables : l’ancien chef des finances de SNC-Lavalin avait des doutes sur les pratiques de son entreprise en Libye. Mais il suivait la direction imposée par son patron Jacques Lamarre, un PDG doté d’une capacité de travail absolument exceptionnelle, a-t-il raconté jeudi.

L’ancien chef des finances, Gilles Laramée, témoignait au procès de son ancien collègue Sami Bebawi, accusé d’avoir participé au versement de pots-de-vin au fils du président de la Libye.

Comptable de formation, M. Laramée a dit avoir vu plusieurs situations qu’il jugeait inacceptables. Parfois, il ne disait rien, et lorsqu’il protestait, il n’était pas toujours écouté, dit-il.

À l’époque, le PDG Jacques Lamarre menait l’entreprise avec dynamisme et s’illustrait par sa capacité de travailler toujours plus fort, souligne-t-il. M. Laramée a comparé M. Lamarre au hockeyeur Brendan Gallagher.

« C’était un leadership à la Gallagher, pour ceux qui connaissent le Canadien de Montréal. Il travaillait fort. Jusqu’à 10 ou 11 heures du soir. Tout le monde pouvait être écœuré, mais lui, il pouvait encore parler de business. Il travaillait fort », a raconté le témoin aux membres du jury.

« Il disait : “La job du conseil d’administration, c’est qu’il me laisse travailler, et [si ses membres] ne sont pas contents, qu’ils me mettent dehors.” »

Achats sur le marché noir

M. Laramée a raconté qu’au début des années 2000, la division dirigée par Sami Bebawi avait du mal à se faire payer l’avancement de travaux en Libye et manquait donc de devises locales pour payer ses dépenses. La Libye n’était pas pleinement intégrée au système financier mondial. Il n’était pas facile de convertir sa monnaie.

M. Bebawi et son groupe auraient donc décidé de s’approvisionner en dinars libyens sur le marché noir.

« Il y avait des fonds envoyés à une tierce partie, et cette tierce partie remettait des dinars libyens », a-t-il expliqué. M. Laramée dit avoir plaidé pour que cesse cette pratique, mais Sami Bebawi avait l’appui du PDG.

« C’est Jacques Lamarre qui a tranché : on va continuer », a relaté le témoin.

10 millions dans un bureau

Gilles Laramée a aussi raconté que le responsable des projets de SNC-Lavalin sur le terrain en Libye, Riadh Ben Aïssa, conservait l’équivalent de 10 millions CAN en dinars libyens, dans un coffre-fort de son bureau à Benghazi, afin de payer les dépenses courantes sur les chantiers.

« C’était une situation complètement inacceptable, car l’argent que tu as, normalement, doit être à la banque, pas dans un coffre-fort », a-t-il relaté.

Un consultant empoche 50 %

À un autre moment, alors que SNC-Lavalin avait réussi à se faire payer un versement de 36 millions attendu depuis longtemps du gouvernement libyen, Jacques Lamarre a annoncé que 50 % de la somme serait empochée par un agent commercial non identifié qui avait aidé dans la réclamation.

« Je trouvais ça bizarre et ça m’a amené à suspecter que peut-être quelqu’un se mettait de l’argent dans les poches », a expliqué M. Laramée. A-t-il fait part de ces inquiétudes à M. Lamarre ?

« Non, parce que c’est mon boss et il a l’air de me dire : c’est ça qui se passe », a répondu le témoin.

La preuve exposée jusqu’ici au procès a montré que les 18 millions avaient été partagés entre Riadh Ben Aïssa, Sami Bebawi, Saadi Kadhafi (le fils du président libyen) et quelques autres intermédiaires.