Ce n’est jamais une bonne idée de mentir en pleine cour durant un témoignage sous serment. Ce l’est encore moins lorsque le témoin appuie ses dires sur des documents de contrefaçon qui sont déposés devant un juge qui n’est pas dupe.

Une telle situation, d’une dimension rarement vue, s’est déroulée en mars dernier devant le juge Thierry Nadon, de la Cour du Québec, durant l’enquête sur remise en liberté d’un individu accusé de non-respect de conditions, car il n’avait purgé que 40 des 90 jours d’une peine discontinue imposée précédemment dans une affaire de drogue.

L’accusé, qui a témoigné le premier, demandait d’être libéré sous conditions, pour des raisons humanitaires, afin d’aider sa conjointe prétendument malade.

« Il faut que je prenne soin d’elle, elle est en métastases », a-t-il commencé par dire, en pleurs.

« Ça implique des traitements et des rendez-vous au quotidien. Elle n’a pas d’énergie. Il faut que je sois là pour m’occuper d’elle et de son fils de 8 ans », a-t-il ajouté, un trémolo dans la voix.

Puis la conjointe a témoigné à son tour. C’est à partir de ce moment que les choses ont commencé à se gâter.

Le juge fronce les sourcils

« J’ai les ganglions lymphatiques sous les bras attaqués. Mon sein gauche. Je fais beaucoup d’étourdissements. Je perds connaissance. J’ai des problèmes de pression, des problèmes de cœur, je prends des médicaments pour ça », a déclaré la femme après avoir juré sur la Bible.

« Les lundis et mardis, je suis à l’hôpital pour des traitements et de la modération de médicaments. Il y a les suivis et, le vendredi, c’est la chimiothérapie. Je ne peux pas y aller seule, il faut que je sois accompagnée, sinon ils me gardent. Et j’ai un enfant », a-t-elle ajouté, en présentant quatre documents pour appuyer son témoignage.

Pendant que celui-ci se poursuivait, le juge Nadon a commencé à examiner les documents. Plus il les regardait, plus il posait des questions et faisait des remarques, l’œil inquisiteur.

« Il n’y a pas de date, et ce n’est pas signé ! »

« Et celui-ci, qui l’a signé ? Un médecin, votre pharmacien ? En bas et en haut, ce n’est pas la même écriture. Ce sont des photocopies. Les signatures ne sont pas les mêmes », a commencé à souligner le magistrat à la témoin, qui patinait de plus en plus. 

Puis, après s’être retiré, le juge Nadon est revenu sur le banc. Il avait de nouveau regardé les documents, cette fois-ci avec une grande attention.

« Un mensonge éhonté »

« Il n’y a pas de chimiothérapie. Il n’y a pas de cancer lymphatique. Les documents sont faux », a-t-il d’abord lancé.

« Recide [au lieu de récidive] d’un cancer des ganglion. Il se peut que ma patiente reste stable mes toutefois, cela pourrais dégénéré très rapidement, ces du cas par cas. Patiente, diagnostic à vi », aurait écrit un certain docteur Charbonneau.

Le juge Nadon a également souligné que dans un deuxième document, la date n’était pas bonne, que dans un troisième, il y avait la même écriture pour deux signatures différentes et que le même médecin a deux numéros de permis différents.

L’un des documents n’a rien à voir avec la santé, c’est un formulaire du ministère de la Justice. De plus, des dates sur les documents ne concordent pas avec la contemporanéité du dossier.

« Ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est un mensonge éhonté. C’est une infraction criminelle d’un témoin qui allègue avoir une maladie et qui pousse l’audace à venir les déposer devant la Cour. Les personnes qui pensent abuser les autorités judiciaires manquent de jugement. C’est de l’usage et de la fabrication de faux », a déclaré le juge, en recommandant à la poursuite de remettre les documents à la police.

Les constables mènent l’enquête

Ce sont les constables spéciaux du ministère de la Sécurité publique qui ont mené l’enquête. Selon des documents judiciaires obtenus par La Presse, la constable Stéphanie Dion a joint deux des médecins cités dans les documents, qui ont expliqué qu’ils n’avaient pas rencontré la femme ou que ce n’était pas leur signature.

La constable a également appelé à l’hôpital du Sacré-Cœur, dont le numéro apparaissait sur l’un des documents, et on lui a répondu qu’il n’y avait aucun médecin de ce nom dans l’établissement.

Enfin, Mme Dion a également constaté qu’un numéro de permis d’un médecin cité dans les documents n’était pas bon.

La témoin de 44 ans a été accusée de parjure mercredi dernier, au palais de justice de Montréal.

Quant à son conjoint, le juge Nadon a refusé de le remettre en liberté.

« Un individu qui vient à la Cour suggérer une raison humanitaire qui est fausse, avec des mensonges éhontés, usage et fabrication de faux, etc., etc., mensonges à la Cour sous serment, et qui, de plus, est en liberté illégale…. le Tribunal, pour une raison humanitaire, le remettrait en liberté ? Le public raisonnablement informé trouverait ça scandaleux ! », a conclu le juge, en disant qu’en six ans à la magistrature, il n’avait jamais vu cela.

L’avocate de l’accusé a aussitôt demandé la permission de cesser de représenter l’accusé, ce que lui a accordé le juge, en la rassurant qu’il n’avait aucun doute sur sa probité.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.