Six ans après la mort de Vito Rizzuto, la mafia montréalaise a perdu sa suprématie aux mains des Hells Angels, mais chacun des différents clans qui la composent est plus indépendant, plus fort et plus riche qu'à la belle époque des Siciliens.

« Je ne suis pas en train de dire que la mafia est plus forte, mais que les différents clans sont plus forts », explique à La Presse l'inspecteur David Bertrand, patron de la Division du crime organisé de la police de Montréal.

« Ils sont plus gros et plus autonomes, contrairement à l'époque où il y avait un seul point de chute, un meneur, une personne centrale par laquelle tout passait. Les clans, alors, ne pouvaient prendre leur envol. Aujourd'hui, ils font leurs propres importations et produisent leur drogue, ils ont leurs contacts, leurs réseaux de distribution et agissent dans différentes sphères d'activités criminelles. »

« Les Hells Angels ont le contrôle au Québec mais également à Montréal. Ce qu'on réalise, c'est que toutes les autres souches du crime organisé rendent des comptes aux Hells Angels », affirme l'inspecteur-chef Guy Lapointe de la Sûreté du Québec, qui a le mandat de la lutte contre les motards au Québec.

FINIE LA PYRAMIDE

Grâce à des informations de différentes sources glanées au cours des derniers mois, ainsi qu'à la lecture de documents judiciaires, La Presse a dressé un organigramme des principaux acteurs de la mafia et des Hells Angels qui composent le crime organisé montréalais, et de certains liens qui les unissent.

Il est constitué d'une nébuleuse d'une vingtaine d'individus, de groupes et de clans gravitant autour d'un noyau d'une demi-douzaine de « décideurs » liés aux Hells Angels, qui s'assurent du bon fonctionnement du système.

« Il est clair qu'entre les Hells Angels, il existe une hiérarchie. Ce ne sont pas tous les membres qui ont la même influence. Certains ont des rôles prépondérants alors que d'autres ont des rôles marginaux », explique l'inspecteur-chef Lapointe.

La structure du crime organisé montréalais n'est plus pyramidale, depuis la fin du règne des Siciliens, mais cellulaire. La mafia n'a plus de parrain ou de table de direction.

Relativement épargné depuis l'opération Magot-Mastiff, dernière grande opération policière qui a décapité le crime organisé montréalais il y a quatre ans, celui-ci s'est refait une force au sein d'une espèce de marché de libre-échange mafia-motards et gangs qui, pour le moment du moins, fonctionne.

La plupart des clans de la mafia ont courbé l'échine devant des Hells Angels influents, mais ils gravitent et font des affaires autour d'eux et avec eux. Importation de drogue, trafic de stupéfiants, blanchiment et transport d'argent, paris sportifs, fraudes ou recyclage avec de la cryptomonnaie, prostitution, crimes de violence, etc. ; mafiosi et motards s'échangent des services entre eux, sur une base régulière ou ponctuelle, dans un système qui leur rapporte énormément d'argent.

UN MARIAGE SYMBOLIQUE

Sans vouloir commenter notre organigramme et la lecture que nous pouvons en tirer, les officiers Lapointe et Bertrand ont répondu à nos questions sur le crime organisé montréalais.

Les deux croient que le mariage du Hells Angel Martin Robert dans une salle de réception somptueuse du centre-ville de Montréal, en décembre dernier - auquel des membres de la mafia et d'autres groupes criminels ont été invités - est représentatif du portrait actuel du crime organisé montréalais.

« On n'aurait jamais vu cela il y a 10 ans. Nous ne sommes plus dans les traditions dans la mafia », dit l'inspecteur Bertrand.

Les policiers ne parlent plus systématiquement entre eux de « crime organisé traditionnel italien » (COTI), mais de crime organisé italien. Le mot traditionnel a été évacué.

« Auparavant, on s'associait car on avait émigré ensemble, on venait de la même ville ou de la même région. Aujourd'hui, les gens s'associent ensemble car ils ont grandi dans le même secteur, ils veulent faire de l'argent et ont besoin d'un service ou d'un contact. »

- L'inspecteur David Bertrand

« Le concept d'hommes d'honneur n'existe plus. Alors qu'auparavant, les allégeances et la loyauté dictaient les façons de faire des organisations criminelles, aujourd'hui, c'est l'appât du gain qui fait foi de tout », renchérit l'inspecteur-chef Lapointe.

SANS PARRAIN

Les deux officiers ne croient pas que la mafia se choisira un nouveau parrain à court ou à moyen terme, car ses membres font de l'argent de toute façon, pour ne pas que soient braqués sur eux les projecteurs de la police et des médias et parce que devenir chef comporte sa part de risques.

David Bertrand ne croit pas que d'autres guerres intestines pourraient survenir dans un avenir rapproché, en raison des accords établis entre les groupes dans la rue.

Mais l'inspecteur-chef Lapointe n'en est pas aussi sûr. « Malgré le fait que, pour nous, la mainmise des Hells Angels sur le territoire montréalais contribue à maintenir une certaine stabilité, il persiste au sein de la mafia des tensions et des vieux comptes qui n'ont toujours pas été réglés. Le contrôle des motards fait en sorte qu'il n'est plus possible de régler des comptes sans avoir obtenu un feu vert au préalable », dit-il.

PÉRIODE DE TRANSITION ?

Des sources policières qui ont requis l'anonymat pensent que la mafia est toujours en période de transition, que l'un de ses groupes pourrait, dans un avenir indéterminé, s'affirmer au détriment d'un autre.

C'est dans ce contexte de changement de garde que la crèmerie Ital Gelati, un des symboles de l'époque de la domination de la mafia sicilienne qui appartenait à la famille Arcuri, a été fermée il y a quelques mois, et qu'un membre de l'ancien clan de Moreno Gallo aurait vendu sa compagnie de café. Un ou deux autres clans de la relève chercheraient à prendre le relais et à s'infiltrer dans ces secteurs de l'économie légale.

Nos sources anonymes croient que d'éventuels départs à la retraite de membres de la vieille garde et la libération d'acteurs influents à court ou à moyen terme pourraient provoquer de nouvelles tensions au sein du crime organisé montréalais et chambouler les structures et alliances en place.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Martin Robert, le soir de son mariage, le 1er décembre dernier.