(Saint-Jérôme) Mario Lamoureux est « mort d’inquiétude ». Son conjoint manque à l’appel cette nuit. L’affaire Fredette roule en boucle à la télévision. Il reconnaît la halte routière fréquentée par Yvon Lacasse. « Il y a un lien, c’est évident », s’inquiète-t-il. Le procès pour double meurtre d’Ugo Fredette s’est penché mercredi sur la vie de l’homme de 71 ans, qui aurait été battu à mort par Ugo Fredette pendant sa cavale avec un enfant.

Yvon Lacasse était un homme bon, serviable et « facile à vivre », a témoigné mercredi son conjoint des 20 dernières années. Retraité depuis 15 ans, le septuagénaire aimait lire ou visiter des amis à la halte routière de Lachute. Le matin du 14 septembre 2017, le couple avait d’ailleurs prévu s’y rendre avant d’aller souper. Or, Mario Lamoureux a dû travailler. « Vers 12 h, c’est la dernière fois qu’on s’est vu. Il m’a envoyé la main », raconte-t-il au jury.

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Ugo Fredette

Le 15 septembre au matin, rongé par l’inquiétude, Mario Lamoureux se rend à la halte routière et rapporte la disparition de son conjoint à un policier près du périmètre de sécurité. Or, l’agent ne fait rien et l’invite à ne pas s’inquiéter. « Je ne savais plus quoi faire », se désole-t-il.  

C’est à cette halte routière qu’Yvon Lacasse aurait croisé le chemin d’Ugo Fredette, alors que ce dernier venait de tuer sa conjointe Véronique Barbe une heure plus tôt. Selon la Couronne, Ugo Fredette a volé le Honda CR-V d’Yvon Lacasse et a jeté son corps dans un boisé. Le jury a visionné mercredi des photos montrant d’importantes traces de sang dans le véhicule de la victime, retrouvé en Ontario.

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Une photo de l'intérieur du Honda CR-V d'Yvon Lacasse. Ugo Fredette aurait volé son véhicule pour prendre la fuite avec un enfant.


Un « mauvais feeling »

Moins de deux minutes. C’est le temps qu’aurait pris Ugo Fredette pour s’enfuir en camion avec un enfant après qu’une voisine l’ait vue traîner le corps inerte de sa conjointe du patio arrière jusque dans la maison. Les policiers de Saint-Eustache seraient donc passés à quelques secondes de coincer l’accusé, le soir du 14 septembre 2017.

L’agent Guillaume Gosselin et son coéquipier arrivent à la résidence d’Ugo Fredette deux minutes seulement après l’appel au 9-1-1 de ses voisins pour une « chicane de famille ». Le policier a un « mauvais feeling ». Il n’y a aucun son dans la maison, alors que les voisins l’assurent que personne n’a eu le temps d’y sortir.  

« Ce n’est pas comme d’habitude, quelque chose ne marche pas », a-t-il témoigné mercredi matin. Ébloui par le soleil à l’arrière de la maison, l’agent Gosselin peine à voir entre les rideaux de la porte-patio. Il aperçoit finalement le corps d’une femme dans la cuisine. Il défonce la porte et sort son pistolet. « J’ai un suspect à l’intérieur. Nos pistolets sont sortis », raconte-t-il. Selon lui, il n’y a déjà plus rien à faire pour la victime qui baigne dans une mare de sang.

Pendant quelques dizaines de minutes, l’agent Gosselin et d’autres policiers ratissent la résidence à la recherche d’un suspect et d’un enfant. Ils se rendent enfin à l’évidence qu’il n’y a personne dans la maison.

Deux couteaux de cuisine toujours ensanglantés ont été exhibés au jury mercredi. Ces armes ont été retrouvées à la résidence d’Ugo Fredette et de sa conjointe à Saint-Eustache, l’un dans l’évier de la cuisine et le second, scindé en deux parties sur et sous le patio arrière. Une voisine a témoigné lundi avoir vu Ugo Fredette sur le balcon en train de tirer le corps de sa conjointe, inerte, à l’intérieur de la maison.  

« Tu me fais peur encore »

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Le balcon arrière de la résidence d'Ugo Fredette et Véronique Barbe. C'est là que Fredette aurait poignardé une première fois la victime, selon la Couronne.


Des messages textes échangés entre Véronique Barbe et Ugo Fredette la veille de la mort de sa conjointe lèvent le voile sur le climat extrêmement tendu de leur séparation. Ugo Fredette supplie sa conjointe de rester avec lui et insiste pour lui donner une autre chance. « Arrête parce que tu me fais peur encore. Arrête tout de suite », lui aurait écrit la victime.

Selon la théorie de la Couronne, Ugo Fredette a poignardé à une dizaine de reprises sa conjointe des dernières années, le 14 septembre 2017, parce qu’il refusait d’accepter leur rupture. Il aurait ensuite séquestré un enfant, puis tué Yvon Lacasse à une halte routière pour lui voler son véhicule, jusqu’à son arrestation en Ontario. Une alerte AMBER a été déclenchée dans cette affaire, a appris le jury mardi.

« Ugo, je t’ai dit que je ne veux plus de cette relation », lui écrit la victime, la veille de sa mort, selon des messages déposés en preuve mardi après-midi au quatrième jour du procès pour double meurtre au premier degré d’Ugo Fredette au palais de justice de Saint-Jérôme.

« Je me suis pris en main. Rien ne peut réparer ça ? Je ne t’ai pas frappé », rétorque Ugo Fredette. « Ugo, non. Je ne veux plus », tranche Véronique Barbe. « Ne me laisse pas seul. Je ne serai pas capable », répond l’accusé qui la supplie de ne pas partir. « Je ne peux plus vivre sans toi. »

Lorsque Véronique Barbe lui demande de la laisser tranquille, Ugo Fredette répond cette phrase lourde de sens : « Tu auras ce que tu mériteras ». Il se met alors à lui écrire une litanie de supplications. Visiblement préoccupée, Véronique Barbe se demande si elle doit « appeler quelqu’un pour cette nuit […] pour pas que tu me harcèles ou me blesses ».  

« Je croyais qu’elle allait mourir »

Un enfant âgé de neuf ans en septembre 2017 a fait le récit mardi de ces deux minutes fatidiques. Alors qu’il jouait au sous-sol avec un autre garçon, l’enfant a entendu Véronique Barbe crier à l’étage. La femme de 41 ans l’a sommé d’appeler la police, alors qu’Ugo Fredette lui a demandé de partir de la maison, ce qu’il n’a pas fait.

Il a ensuite vu Véronique Barbe courir vers l’arrière de la maison en criant « à l’aide » à deux reprises. Ugo Fredette l’a toutefois prise à l’extérieur, puis est revenu dans la maison en la retenant de façon à lui « couper le souffle ». « Après, elle était couchée par terre, elle respirait fort […] Puis après ça, j’étais parti parce que je me demandais si… si elle allait mourir », lâche-t-il.

« Je croyais qu’elle allait mourir, parce qu’elle respirait fort, puis un moment donné… qu’elle allait arrêter, parce que c’est bizarre de voir une personne en train de respirer très fort… », a-t-il précisé à la policière pendant un interrogatoire qui s’est tenu le soir du meurtre. C’est la vidéo de cet interrogatoire que le jury a visionnée mardi. L’enfant de 11 ans a ensuite brièvement témoigné par visioconférence.

Me Steve Baribeau, Me Alexis Marcotte-Bélanger et Me Karine Dalphond représentent le ministère public, alors que Me Louis-Alexandre Martin défend Ugo Fredette. La juge de la Cour supérieure du Québec Myriam Lachance préside le procès devant jury.