La décision de la Cour d’appel de l’Ontario n’aura pas pour effet de libérer deux terroristes islamistes. Au pire, s’il n’y a pas d’appel en Cour suprême, un nouveau procès aura lieu. Mais c’est la troisième fois qu’une condamnation pour activité terroriste est cassée par le plus haut tribunal ontarien.

Et s’il n’y a pas d’épidémie de procès annulés par les cours d’appel, le sujet n’est pas banal. En compilant des statistiques maison (car il ne faut pas compter sur le ministère de la Justice pour vous en fournir), j’ai relevé dans les deux dernières années et demie au moins sept cas de procès pour meurtre annulés par la Cour d’appel du Québec seulement – dossiers Bertrand, Bresaw, Sorella et J.E. en 2017 ; Gordon Gray en 2018 ; Bernard et Roy en août 2019.

Ce n’est certes pas une hécatombe, et la vaste majorité des verdicts de jury sont confirmés en appel. Au Québec, il y a d’ailleurs fort peu de procès avec jury : 38 en 2015, 43 en 2016 et 57 en 2017. C’était une centaine il y a 20 ans. Le pourcentage de nouveaux procès n’est pas élevé.

Mais chaque condamnation annulée force la convocation de nouveaux candidats pour un autre jury, avec les coûts, les difficultés, les délais, l’affaiblissement de la preuve que cela suppose. Un seul est un de trop, d’autant que la raison de l’annulation n’est pas toujours une nouvelle subtilité ésotérique du droit criminel ou la résolution d’une querelle d’écoles. Il est souvent question d’une erreur de base dans l’application des règles de droit, dans la façon de mener le procès ou d’administrer la preuve.

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Dans le cas ontarien, Raed Jaser et Chiheb Esseghaier ont été condamnés en 2015 pour un complot terroriste qui consistait à faire exploser un train de passagers de VIA Rail. Une affaire qui avait fait grand bruit. La preuve semblait assez accablante.

Quel a été le problème ? Il est technique. Le jury a été mal sélectionné. Jusqu’à ces jours-ci (de nouveaux articles du Code criminel entrent en vigueur), le juge pouvait demander des « vérificateurs » dans des causes exceptionnelles. Par causes exceptionnelles, on entend des affaires qui ont eu un retentissement médiatique. D’autres circonstances peuvent aussi être invoquées. Quand le crime soulève un mobile racial ou religieux, ou que l’identité de l’accusé peut soulever des craintes de partialité du jury. On aura donc recours à deux vérificateurs qui donneront leur avis sur l’impartialité des candidats jurés. 

Le juge pose une série de questions aux candidats. Il leur demande s’ils connaissent l’affaire, s’ils se sont fait une idée, s’ils sont capables de la mettre de côté et de juger uniquement à partir de la preuve, s’ils ont des opinions défavorables envers les musulmans dans ce cas-ci, etc. Et les vérificateurs décident ensuite à la lumière des réponses si les candidats sont partiaux ou non. Reste ensuite aux avocats des deux côtés à décider s’ils excluent ou non le candidat (chacun a droit à un certain nombre de récusations avec ou sans cause).

Qui sont ces vérificateurs ? Dans l’ancien temps, je veux dire avant même que je ne mette les pieds au palais de justice, il était de coutume de prendre deux journalistes du palais de justice. Il semble que la coutume ait été réinstaurée ici et là. Mais en règle générale, depuis plusieurs années déjà, des candidats jurés jouaient ce rôle. D’ordinaire, les premiers choisis.

Le juge du procès ici a fait deux erreurs. D’abord, il n’a pas fait sortir les candidats de la salle pendant la sélection, ce qui pouvait nuire à leur impartialité en leur permettant d’entendre les questions et les réponses. Ensuite, il a utilisé les deux mêmes vérificateurs tout le long du processus au lieu de faire une rotation (dès qu’un nouveau juré est choisi, le second vérificateur remplace le premier, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on ait les douze).

L’erreur est technique, donc, et la Couronne a plaidé qu’au fond, ça ne changeait rien. Il existe dans le Code criminel une disposition « réparatrice », pour faire en sorte qu’on n’ordonne pas un nouveau procès pour chaque petite erreur. 

En gros, cette règle est la suivante : si l’erreur n’a probablement pas changé le verdict, on passe l’éponge.

Mais la Cour d’appel de l’Ontario juge l’erreur fatale. Un jury qui n’est pas constitué selon les règles visant à assurer son impartialité affecte la validité même du procès. La règle pourtant était facile à appliquer, et Jaser en avait réclamé l’application (l’autre accusé a refusé de se défendre, disant s’en remettre au Coran).

À la décharge du juge du procès, ce n’est qu’après 2015 que le droit a été clarifié à ce sujet. Son « erreur » n’en était pas vraiment une au moment du procès. Elle n’est plus non plus susceptible de se produire, puisque maintenant, il n’y a plus de vérificateurs.

N’empêche, c’est à recommencer.

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Plus inquiétants quant à moi, et beaucoup moins visibles sont les quelques procès qui se terminent en accident parce qu’un juge a mal appliqué une règle bien connue. Dans les cas rendus la semaine dernière, on a vu un juge se transformer inutilement en procureur de la poursuite (c’était son ancien boulot…) et contre-interroger un témoin lourdement. Dans un autre, c’est une règle de fardeau de la preuve qui a été inversée.

Certes, des erreurs somme toute peu fréquentes. Et à vue de nez, moins nombreuses qu’avant. Du moins, l’occurrence des nouveaux procès devant jury semble plus rare – sujet à confirmation statistique ! Et s’il n’y avait pas d’erreurs, ou d’interprétations divergentes, on n’aurait pas besoin de tribunaux d’appel. OK.

Mais des erreurs évitables et coûteuses néanmoins.