Bruno Varin, ce trafiquant chez qui la police a saisi une trentaine de bronzes et de tableaux volés qui seront bientôt restitués à leurs anciens propriétaires ou confisqués par l’État, a été soupçonné de trafic d’œuvres d’art et s’est retrouvé dans la ligne de mire de la police durant des années, avant d’être arrêté pour trafic de cocaïne il y a cinq ans.

« Dès que j’ai commencé dans la police à m’occuper des œuvres d’art, au début des années 90, le nom de Bruno Varin a toujours fait surface comme étant la personne à qui le crime organisé passait des œuvres d’art, pour qu’il les vende à d’autres », se rappelle Alain Lacoursière.

L’ancien enquêteur en matière de fraude au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est un pionnier dans la lutte contre le trafic d’œuvres d’art au Québec. Il a contribué à la création d’une équipe de spécialistes dans le domaine à la Sûreté du Québec durant les années 2000. Aujourd’hui retraité, il est consultant et évaluateur d’œuvres d’art.

Hier, La Presse a révélé que 27 bronzes et tableaux volés, dans certains cas il y a plus de 30 ans, avaient été retrouvés chez Varin après l’arrestation de ce dernier dans le démantèlement d’un réseau de distributeurs de cocaïne en 2014, et que ces œuvres, parmi lesquelles on retrouve notamment des œuvres de Dalí, Thomson, Krieghoff, Pellan, Leduc, Fortin et Borduas, seraient bientôt remises à leurs anciens propriétaires et aux compagnies d’assurances qui ont versé des indemnités pour les vols, ou confisquées par l’État.

Sur l’écran radar

Alain Lacoursière n’a pas été surpris de l’arrestation de Varin et des trouvailles faites chez lui par les policiers.

Au cours de sa carrière, il a enquêté sur lui, l’a suivi, a surveillé des bâtiments qu’il soupçonnait être ses entrepôts et a tenté de le piéger à maintes reprises. Il croit que Varin, qui travaillait avec un certain John Chambers durant les années 90 et qui aurait été proche du Gang de l’Ouest et des Dubois, aurait trafiqué « des dizaines et des dizaines » d’œuvres d’art, et se serait hissé non loin de la position de tête du palmarès des cinq principaux trafiquants du genre au Québec, à une certaine époque.

« Quand on le suivait, on voyait que les gens qu’il rencontrait étaient parmi les plus hauts gradés chez les Italiens et les motards », dit l’ex-policier. 

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Lacoursière, ancien enquêteur en matière de fraude au SPVM, est un pionnier dans la lutte contre le trafic d’œuvres d’art au Québec.

C’était un gros joueur en matière d’œuvres d’art. Il connaissait ça et il connaissait des gens qui étaient des spécialistes. Il s’informait auprès d’eux. Du moment qu’on avait une information ou une source, ça nous amenait encore à Varin.

Alain Lacoursière, ex-enquêteur au SPVM

« Je me souviens que lorsque nous avions interrogé un suspect, il avait des piles et des piles de factures dans une valise, pour justifier des transports d’œuvres d’art aux douanes, entre autres des reproductions de Courbet et de Corot. Mais c’était peut-être des vrais », s’exclame Alain Lacoursière.

Fin renard

L’ancien enquêteur se souvient d’une anecdote survenue vers la fin des années 90, au cours de laquelle ils ont tenté de piéger Varin en lui offrant, par l’intermédiaire d’un tiers, deux tableaux dérobés, dont un Marc-Aurèle Fortin. L’objectif était que Varin les achète et les apporte ensuite dans un endroit que la police croyait être l’un de ses entrepôts d’œuvres d’art volées.

Mais, sentant visiblement la soupe chaude, Varin a décliné l’offre, sourire en coin. Il a même refusé de toucher aux toiles. Et lorsque les policiers ont ensuite perquisitionné dans le lieu qu’ils soupçonnaient être son entrepôt, celui-ci était vide.

Ce n’était pas facile d’enquêter sur Varin. Il y avait beaucoup de monde qui travaillait pour lui. Il avait des contacts.

Alain Lacoursière, ex-enquêteur au SPVM

« On s’apercevait que son groupe faisait de la contre-filature ou des vérifications. Il a toujours été dans la ligne de mire de la police, mais il passait sous le radar. Il faisait ses affaires ou les faisait faire par des gens qui, eux, se sont fait prendre. On n’a jamais pu l’accuser de ça », se souvient M. Lacoursière.

Des dizaines de vols élucidés

L’ex-enquêteur se rappelle que 60 tableaux volés avaient été retrouvés chez un certain Joseph Ghaleb (assassiné en 2004). Plusieurs de ces tableaux provenaient de vols commis dans des galeries, des boutiques d’art ou chez des particuliers, à Westmount et dans l’ouest de l’île de Montréal.

Selon M. Lacoursière, les vols étaient en général l’œuvre de petits criminels qui cherchaient, par exemple, à rembourser une dette ou à se faire de l’argent pour acheter de la drogue. Ghaleb aurait versé au voleur un pourcentage sur la valeur du tableau.

« On a vu des dizaines de vols dans des galeries sur Sherbrooke où les voleurs dérobaient la toile et le petit encart à côté sur lequel le prix était inscrit. Mais ils passaient à côté des Riopelle, qui eux n’avaient pas de prix, mais qui valaient 100 fois les tableaux volés », raconte Alain Lacoursière.

Une monnaie d’échange

Selon lui, si le crime organisé s’intéresse depuis longtemps aux œuvres d’art, c’est notamment parce que cela peut servir comme une valeur autre que l’argent.

Durant les années 80-90, même jusqu’en 2000, le crime organisé était très impliqué dans le trafic d’œuvres d’art. Lorsqu’on a fait l’enquête Printemps 2001 [contre les motards], j’ai vu plusieurs œuvres d’art dans des maisons. C’était utilisé comme monnaie d’échange.

Alain Lacoursière, ex-enquêteur au SPVM

« Au lieu d’avoir des valises d’argent, on avait des œuvres d’art. Si on donne le quart de la valeur d’un tableau qui vaut 1 million de dollars, c’est 250 000 $. On peut régler une dette de drogue ou acquérir des armes », explique M. Lacoursière.

Mais selon M. Lacoursière, avec l’arrivée de l’internet, la criminalité a changé et les vols d’œuvres d’art sont beaucoup moins fréquents.

« Pas seulement ici, même à travers le monde. Les criminels n’utilisent plus cette méthode pour transiger ou effectuer des transits de valeurs ou d’argent », conclut-il.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.