Si certains croient que l’arrêt rendu lundi par la Cour d’appel, qui dit ne pas avoir la compétence pour se pencher sur la confiscation du repaire des Hells Angels de Sherbrooke, marque la fin d’un bras de fer de 10 ans entre le Procureur général du Québec et les motards, ils devront se raviser.

« Nous sommes en train d’analyser la décision des juges et nous évaluons sérieusement la possibilité d’aller jusqu’en Cour suprême », a déclaré à La Presse Me Mylène Lareau, avocate des trois membres des Hells Angels concernés par le dossier : Guy Auclair, Georges Beaulieu et Richard Rousseau.

L’avocate s’est limitée à ce seul commentaire. Les trois Hells Angels, leurs entreprises ainsi que des entreprises auxquelles appartiennent des terrains sur lesquels se trouve une partie du repaire des motards, dans la rue Wellington Sud, à Sherbrooke, attendent une autre décision de la Cour supérieure vendredi à une nouvelle requête déposée en juin. Ils auront une meilleure idée de la stratégie à adopter par la suite. 

Auclair, Beaulieu et Rousseau, trois des membres fondateurs de la section de Sherbrooke, créée en 1984, ont été arrêtés et accusés dans la foulée de l’opération SharQc, qui a envoyé la quasi-totalité des membres de ce groupe de motards criminels en prison, le 15 avril 2009. 

Comme tous les autres, ou presque, ils ont plaidé coupable à une accusation réduite de complot pour meurtre et ont été condamnés à des peines de 7 à 14 ans, qui ont été considérablement réduites par la Cour d’appel par la suite, après la fin abrupte du processus judiciaire. Actuellement, les trois hommes ont purgé leur peine et sont en liberté.

En septembre 2017, la juge Carol Cohen, de la Cour supérieure, a ordonné la confiscation du bunker des Hells Angels de Sherbrooke, là où la célèbre « tuerie de Lennoxville » a eu lieu en 1985. 

Une entreprise à numéro dont les trois Hells Angels sont actionnaires est propriétaire du terrain où a été construit le repaire ainsi que de deux terrains voisins. Deux autres terrains adjacents appartiennent à Paul Laroche et Excavation Charles Grenier. Ces cinq terrains, comprenant des droits de passage, sont visés par la confiscation. 

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales est parvenu à démontrer que le repaire a servi de bien infractionnel, alors que des membres des Hells Angels y ont tenu des réunions (messes), que des subalternes et des membres de leurs clubs-écoles y ont fait de la surveillance armée et que des renseignements sur les ennemis, des armes et de l’argent y ont notamment été trouvés au cours de quatre perquisitions effectuées entre 1986 et 2009.

Le repaire était également une véritable forteresse. 

Ce qu’a dit Sylvain Boulanger

Durant ses nombreuses rencontres avec les policiers, l’ancien Hells Angel de la section de Sherbrooke Sylvain Boulanger, qui a retourné sa veste et qui devait témoigner durant les procédures de SharQc, a raconté que c’est après l’attentat à la bombe raté contre le local des défunts Jokers de Saint-Jean-sur-Richelieu, club-école des Hells Angels, qui a fait trois morts et un blessé à Saint-Luc en 1995, que les motards ont décidé de sécuriser leur local de Sherbrooke en y ajoutant caméras de surveillance, clôtures et détecteurs de mouvement, et que de la surveillance armée était organisée 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.

Boulanger a aussi raconté qu’après la première perquisition, en 1995, l’un des membres avait eu l’idée d’acheter les terrains voisins, pour éviter que soit saisi le bunker, et qu’un motard l’habitait en permanence, comme s’il s’agissait de sa demeure.

Sylvain Boulanger a également dit aux policiers que lorsqu’il y avait trop d’argent dans le local, les Hells Angels l’enterraient dans le terrain à l’arrière du bâtiment, là où des membres s’exerçaient parfois à tirer à la carabine, a-t-il ajouté.

Ces allégations n’ont toutefois jamais été prouvées en cour, puisque Sylvain Boulager n’a jamais témoigné.

Un symbole

L’arrêt rendu lundi par la Cour d’appel est très technique.

En résumé, il signifie que les procédures entreprises n’étaient pas adéquates pour remettre en question la décision de la juge de première instance (Cour supérieure). 

La Cour d’appel conclut également que les appelants (les trois Hells Angels) n’ont présenté aucune preuve soutenant qu’ils n’avaient aucune collusion avec les membres des Hells Angels coupables de l’infraction de complot de meurtre.

« L’arrêt a le mérite de clarifier les procédures à suivre en matière de confiscation. Les procédures qui visent la confiscation du bunker des Hells Angels de Sherbrooke se sont échelonnées sur plusieurs années, et notre position est toujours la même : il a servi à faciliter la commission de l’infraction de complot pour meurtre », a déclaré à La Presse le procureur de la poursuite au dossier, Me Antoine Piché.

À l’expiration des délais d’appel, notre intention est de prendre définitivement possession des biens confisqués par la juge Cohen de la Cour supérieure.

Me Antoine Piché

Le repaire de Sherbrooke est le dernier local des Hells Angels québécois de l’époque de la guerre (les autres ayant été ceux de Québec, de Trois-Rivières, de Sorel et de South) qui n’a pas encore été confisqué ou démoli.

Le repaire, bloqué par les autorités, est aujourd’hui plus ou moins bien entretenu. Les terrains et le bâtiment sont évalués actuellement à 418 000 $, soit 6000 $ de moins que le rôle d’évaluation antérieur. Le montant total en taxes municipales impayées s’élève actuellement à 67 404,91 $.

Sur le point d’être réactivée ?

La section de Sherbrooke est la seule toujours inactive depuis l’opération SharQc, menée il y a 10 ans. Les autres qui avaient été mises en veilleuse ont été réactivées, l’une après l’autre, à partir du moment où les Hells Angels condamnés après SharQc ont commencé à être libérés. 

Selon des sources policières, le fait que le délateur Sylvain Boulanger est un ancien de cette section ou que la question du repaire n’est toujours pas réglée pouvait expliquer cette situation.

Or, la police croit que la résurrection de la section de Sherbrooke est imminente et qu’elle compte à l’heure actuelle officiellement cinq membres libres de toutes conditions judiciaires, alors que les statuts et les règlements des Hells Angels prévoient que chaque section doit en compter six au minimum.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse