Une adolescente de 14 ans s’est vu refuser l’accès à son centre jeunesse de la Rive-Sud de Montréal alors qu’elle était en fugue, une nuit de l’été dernier. Elle a été agressée sexuellement dans les heures suivantes.

Une juge de la Chambre de la jeunesse vient de dénoncer la situation en blâmant la DPJ de la région. Elle déplore aussi que la jeune fille ait passé de longues périodes en isolement et qu’elle ait été déplacée 13 fois en un an. « Comme une valise dont personne ne veut », a résumé un psychiatre.

Rosalie*, qui a de graves problèmes de comportement, réintègre progressivement sa famille, fin juillet 2018. Le 27 au soir, elle quitte soudainement la maison. Vers 21 h 10, sa mère avise la DPJ et la police de la fugue. La police ouvre rapidement une enquête de disparition. Vers 22 h 10, d’une cabine téléphonique, Rosalie appelle l’unité du centre jeunesse où elle réside normalement afin de demander de pouvoir y revenir.

L’adolescente essuie un refus : on lui demande plutôt d’appeler ses parents ou de rappeler au centre le lendemain matin.

Le même soir, alors qu’elle est toujours en fugue, « l’enfant se fait aborder par un homme, qui lui dit être agent de sécurité. Elle lui mentionne qu’elle est en fugue. Elle se rend avec lui à [ville inconnue] et est victime d’une agression sexuelle », relate la juge Mélanie Roy.

« Le refus de l’éducatrice de lui permettre de revenir au centre alors qu’elle sait que l’enfant est en fugue est incompréhensible et inacceptable, a continué la magistrate. Les conséquences de ce refus sont graves pour l’enfant puisqu’elle est par la suite victime d’une agression sexuelle. »

Cri du cœur

Face à cette situation, la grande patronne de la DPJ pour l’Est de la Montérégie, Catherine Lemay, a lancé un cri du cœur. « Tous les jours, les intervenants marchent sur un fil de fer, a-t-elle plaidé. Parfois, ils prennent des décisions qu’ils pensent être la meilleure, mais qui tombent du mauvais côté. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Catherine Lemay, présidente-directrice générale adjointe
du CISSS de la Montérégie-Est

« On en porte tous au fond de nous, des enfants pour lesquels on était sûrs de prendre la bonne décision, mais pour lesquels, en rétrospective, quand on connaît la fin de l’histoire, on se rend compte que ce n’était pas la bonne, a continué Mme Lemay, visiblement émue. On les porte tous les jours. J’ai dans la tête des noms d’enfants pour lesquels j’ai pris des décisions il y a 25 ans, et je m’en souviens encore. »

Elle a souligné que la juge Roy a affirmé à plusieurs reprises ne pas douter de la bonne foi de toutes les personnes impliquées.

La directrice de la protection de la jeunesse pour tout le territoire montérégien, Josée Morneau, n’a pas voulu commenter le cas précis de Rosalie. Mais elle a soutenu qu’il était normal pour un jeune qui réintègre sa famille d’être appelé à persévérer.

« Quand on est presque rendu à une réinsertion familiale complète, ce ne serait pas la bonne pratique de toujours dire à l’enfant de revenir à l’unité. Il faut accompagner les gens à trouver leurs propres solutions. » Mais « pendant que l’enfant est en sortie, il a toujours sa place », a-t-elle dit, soulignant qu’a posteriori, elle regrettait évidemment les conséquences de la décision.

La juge Roy ne l’entend pas de cette oreille : « L’éducatrice devait prêter assistance à cette enfant qui demandait de l’aide. Point. »

Isolement « déraisonnable »

La décision de la juge Roy a aussi déterminé que les droits de Rosalie avaient aussi été lésés en raison du temps qu’elle avait passé en isolement et parce que la tenue de son dossier médical avait fait l’objet de « laxisme ». Fait rare, la magistrate s’est déplacée dans les installations de la DPJ afin de constater par elle-même la situation.

« L’enfant a passé un temps déraisonnable, isolée dans une pièce de béton minuscule, souvent défraîchie. Elle a subi des blessures en raison de multiples contentions, notamment des ecchymoses et des os déplacés, a-t-elle écrit. À bout de moyens pour intervenir auprès d’elle, les intervenants sont allés jusqu’à lui mettre un morceau de vêtement sur la tête pour l’empêcher de cracher. »

La DPJ Josée Morneau a indiqué que dès qu’elle avait été mise au courant de cette dernière pratique, l’automne dernier, une note interne avait été envoyée à tous les employés concernés pour l’interdire. Quant à l’isolement, « on s’assure de faire des études de cas » pour les jeunes qui y sont confinés le plus souvent « afin de comprendre ce qui cause les crises ».

Rosalie se trouvait entre les mains de la DPJ en raison de ses problèmes de comportement, et non pas de négligence parentale. La juge décrit des comportements autodestructeurs à répétition : elle se frappait la tête dans un mur, avalait des piles ou des « broches » et s’automutilait.

À force d’hospitalisations et de transferts, elle a été déplacée 13 fois en un an. Le psychiatre Louis Morrissette, qui l’a rencontré, a conclu que « malgré ses comportements difficiles, il faut à tout prix éviter de la déplacer comme une valise dont personne ne veut » et plutôt la faire « évoluer dans un lieu fixe qui s’adapte à ses besoins ». 

La juge Mélanie Roy a aussi déploré que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) soit toujours absente des débats sur les cas problématiques en matière de DPJ. L’organisation est pourtant automatiquement notifiée chaque fois qu’un juge doit analyser si les droits d’un enfant ont été lésés.

La juge Roy a d’ailleurs envoyé un huissier remettre une copie de sa décision en « mains propres » à Philippe-André Tessier, président de la CDPDJ.

Dans un courriel, la Commission a affirmé que la juge avait tort dans son analyse de la situation. « Contrairement » à ce qu’écrit la juge, « la Commission n’est pas “invitée” aux audiences du Tribunal. Elle exerce plutôt sa discrétion d’intervenir d’office, de son propre chef, à l’instruction de la situation d’un enfant », a indiqué Sébastien Otis, responsable des communications.

* Nom fictif