La veuve d’un individu lié au crime organisé montréalais assassiné en 2013 pourra demander d’être indemnisée en tant que victime, en vertu de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), et ce, même si sa demande a été faite en dehors des délais prescrits par la loi.

Cette décision, qui pourrait avoir des répercussions sur d’autres proches de personnes assassinées, a été rendue il y a quelques jours par le Tribunal administratif du Québec (TAQ).

La femme, qui n’est pas nommée dans la décision du TAQ, est la veuve de Gaetan Gosselin, ami et homme de confiance du caïd Raynald Desjardins, abattu devant chez lui, rue Jean-Tavernier, dans l’est de Montréal, le 22 janvier 2013.

« Vers 18 h 10, madame entend des bruits de coup de feu et d’éclats de vitre. À l’extérieur de son domicile, son conjoint a été abattu de plusieurs balles alors qu’il revenait de faire des courses. La victime gisait sur le trottoir, il y avait beaucoup de sang. La requérante a entendu des cris et a vu un véhicule qui démarrait en trombe. Une voisine infirmière a assisté madame et fait un massage cardiaque à la victime jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. Son conjoint est mort dans ses bras », décrivent les juges administratifs dans leur décision de 10 pages.

Une vie qui a basculé

La femme a rencontré une intervenante du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels le 15 février 2013, trois semaines après le meurtre de son conjoint.

Elle a déposé une première demande de prestation à titre de conjointe de la victime et de personne à charge 10 jours plus tard.

S’en est suivie une enquête policière à l’issue de laquelle des individus, qui avaient comploté le meurtre de son mari, ont été arrêtés en 2014.

Durant cette période, la veuve a eu 14 contacts avec une agente d’indemnisation sans que cette dernière lui dise qu’elle pouvait également faire une demande d’indemnisation en tant que victime, à titre individuel.

En décembre 2015, sa demande de prestation a été rejetée au motif d’une faute lourde de son conjoint, c’est-à-dire l’implication de ce dernier auprès d’individus liés au crime organisé.

Elle a finalement présenté une nouvelle demande pour elle-même en février 2016, mais elle a également été refusée puisque le délai prescrit pour signifier une telle demande est au plus tard d’un an après les évènements.

La femme partageait la vie de Gaetan Gosselin depuis 1984. Après le crime, son état psychologique s’est passablement détérioré, et elle a souffert d’un problème de jeu pathologique.

« Elle vit depuis dans la peur, l’insécurité, la solitude, sans presque aucun revenu, si ce ne sont les rentes de son conjoint.

« Depuis la mort de son conjoint, sa vie a basculé. Celui-ci subvenait à ses besoins, et elle n’avait pas besoin de travailler. Elle a perdu une dizaine d’emplois en deux ans et a dû déménager à deux reprises, faute d’argent. Elle habite chez un proche, qui lui fournit chambre et pension temporairement.

« Madame est toujours affligée de sentiments de tristesse, de reviviscence et de flash-back du décès de son conjoint. Elle demeure toujours anxieuse », écrivent les juges administratifs.

Interprétation large et libérale

Au sujet des délais, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a fait valoir que la veuve n’a pas fait preuve de diligence et n’a pas démontré avoir été dans l’impossibilité d’agir.

À ce sujet, le Tribunal administratif a en effet statué que l’état de santé mental de la femme ne l’a pas empêchée d’agir dans le délai prescrit pour déposer sa demande de prestation à titre personnel.

En revanche, le TAQ a conclu que la femme, par son comportement, n’a jamais renoncé à déposer une demande de prestation à titre personnel.

La LIVAC est une loi à caractère social et, à ce titre, elle doit recevoir une interprétation large et libérale afin d’assurer la réalisation de son objet, qui est l’indemnisation des victimes d’actes criminels.

Extrait de la décision du TAQ

« On ne peut pas reprocher à la requérante ni aux personnes qui l’assistaient de ne pas avoir fait la distinction entre un statut à titre de conjoint versus à titre personnel. Au moment de déposer sa première demande de prestation, madame visait à faire reconnaître ses droits à la suite de l’acte criminel ayant visé son conjoint. 

« La situation de la requérante se distingue du cas habituel d’une personne qui dépose une demande de prestations en dehors du délai prescrit à la LIVAC. Dans la présente affaire, madame s’est manifestée avec diligence. C’est son statut de réclamant qui est plutôt en cause. Cela ne devrait pas mener à un refus de la demande », concluent les juges administratifs.

Le TAQ a donc cassé la décision négative rendue en 2016 et relève la plaignante de son défaut de ne pas avoir déposé sa demande dans les délais prescrits par la loi. 

La femme a déjà fait sa demande à titre de victime. Si elle est acceptée, elle touchera 90 % de son revenu net applicable lors du meurtre.

Des victimes mal informées

Me Marc Bellemare, qui représentait la veuve de Gaetan Gosselin, est satisfait de la décision. Il reproche à l’IVAC de mal informer les victimes, qui ne savent pas bien souvent, selon lui, qu’elles ont le droit de demander d’être indemnisées pour elles-mêmes.

« L’IVAC ne dit pas qu’elle [la femme] n’a pas le droit, l’IVAC dit qu’il est trop tard. Alors l’IVAC invoque des délais qui ont été provoqués par sa propre négligence. On essaie de faire porter au citoyen les conséquences du fait que l’IVAC ne dit pas tout aux victimes le moment venu », accuse l’avocat.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca ou à l’adresse postale de La Presse