Mythe répréhensible, consentement sexuel banalisé, propos tendancieux : le Conseil de la magistrature réprimande le juge à la retraite Jean-Paul Braun pour ses propos « fortement stéréotypés » à l’égard d’une adolescente agressée sexuellement par un chauffeur de taxi.

Ses commentaires paternalistes sur le « surpoids », le « joli visage » et l’attitude « fleur bleue » de la victime avaient suscité un tollé en octobre 2017. La ministre de la Justice de l’époque, Stéphanie Vallée, avait d’ailleurs dénoncé ces propos « inacceptables » et avait ordonné au Conseil de la magistrature de faire enquête. Quatorze citoyens avaient également porté plainte.

Dans une décision récemment rendue publique, le comité d’enquête du Conseil de la magistrature a conclu que le juge Braun – retraité depuis l’été dernier – avait manqué à ses obligations déontologiques et n’avait pas rempli son rôle avec « intégrité, dignité et honneur ». Jean-Paul Braun s’est tourné vers la Cour supérieure mardi dernier pour demander l’annulation de cette décision.

Les propos « controversés » du juge Braun ont été tenus pendant des échanges avec les avocats après la présentation de la preuve dans le procès de Carlo Figaro en mai 2017. Le juge s’était longuement questionné sur le consentement de la victime, pourtant mineure, avec le chauffeur de taxi de 49 ans. Ce dernier a été déclaré coupable d’agression sexuelle pour avoir léché le visage et touché la poitrine de sa victime.

« Ce n’est pas le même consentement pour embrasser quelqu’un et le consentement pour lui mettre, comme on dit, la main au panier. Ce n’est pas le même consentement ! », avait tranché le juge, malgré les contestations de la procureure. 

« Est-ce qu’on a besoin d’un consentement express pour, quand on se regarde, s’embrasser ? […] Est-ce que c’est vraiment sexuel d’embrasser quelqu’un ? » — Le juge Jean-Paul Braun

Ces « propos tendancieux » prononcés dans un contexte de procès en matière d’agression sexuelle tendent à « banaliser la question du consentement préalable », déplore le comité d’enquête. « Il utilise une grille d’analyse fortement stéréotypée pour évaluer et décrire le comportement de la plaignante », souligne-t-on.

Le juge Braun a commenté à quelques reprises pendant le procès le physique de la victime, évoquant sa « très jolie figure » et son « physique particulier […] assez abondant ». Ces commentaires ne sont pas « appropriés » pour un juge dans un procès d’agression sexuelle et constituent un manquement à son devoir de réserve, conclut le Comité.

« Elle n’a pas 10 ans »

Le juge Braun a également utilisé à « plusieurs reprises des suppositions fondées sur des perceptions et des hypothèses stéréotypées », conclut le Conseil. Il est « consternant », poursuit-on, que le juge ait eu recours au « mythe de la jeune fille innocente et “fleur bleue” ». Le juge Braun avait présumé que l’adolescente devait être « flattée » qu’un « homme s’intéresse à elle » pour la première fois. « Elle n’a pas 14 ans là, elle n’a pas 10 ans », avait fait valoir le juge Braun.

« L’utilisation par le juge d’un tel mythe est d’autant plus répréhensible qu’il accrédite l’idée que l’imaginaire romantique présumé de la victime la prédisposait à être consentante et disponible pour une aventure amoureuse », dénonce le Comité.

Pendant le procès, le juge Braun s’était mis à réfléchir à voix haute sur le possible flirt de la victime et de l’agresseur en se mettant à la place de l’adolescente. « C’est-tu ça, un homme ? C’est-tu ça, avec une relation ? C’est-tu ça, avec un boyfriend ? Un gars qui nous embrasse qu’on connaît à peine, et il commence à nous toucher tout partout, pis dans les fesses, pis c’est-tu ça ? C’tu ça ? C’tu ça, maman ? C’tu ça, avoir une relation avec un gars ? C’est ça qui est arrivé », avait dit d’un trait le juge.

Le juge à la retraite s’oppose vivement aux conclusions du comité d’enquête et exige l’annulation de la décision du Conseil de la magistrature. Jean-Paul Braun relève une dizaine d’erreurs du Comité dans sa requête de demande de contrôle judiciaire. Selon lui, cette décision pourrait « compromettre la capacité des juges » de procès d’agression sexuelle « d’explorer librement » le comportement des participants aux faits.