Laisser un bambin près d’un chien dangereux sans réelle surveillance n’est pas qu’irresponsable ; c’est carrément criminel. Le père d’un garçon de 2 ans mordu au visage par un pitbull, il y a trois ans, l’a appris à ses dépens et risque maintenant de se retrouver en prison.

Ce Montréalais d’une vingtaine d’années a été reconnu coupable, il y a deux semaines, d’avoir causé des blessures à son fils par sa négligence criminelle. Il s’agit d’une rare condamnation dans une affaire de morsure canine au Québec. Nous ne pouvons publier le nom de l’accusé afin de protéger l’identité de l’enfant.

C’était bien connu dans la famille de l’accusé que le chien était dangereux. L’été précédent, le pitbull du père de l’accusé avait mordu des enfants et attaqué un autre chien. Depuis, il portait parfois une muselière.

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Il s’agit d’une rare condamnation dans une affaire de morsure canine au Québec. À noter que le chien sur la photo n'est pas celui en cause.

Pourtant, le 15 septembre 2016 à Montréal, l’accusé part faire une course et confie à son frère la surveillance de son fils de 2 ans, sans prévenir le grand-père de l’enfant. Or, son frère, dans la vingtaine lui aussi, est atteint d’une déficience intellectuelle. Il est incapable d’habiter seul ou de travailler.

Les yeux rivés sur son cellulaire, il ne remarque pas que son neveu quitte la cour intérieure et entre dans l’appartement de son grand-père, où se trouve le pitbull. Le grand-père voit son petit-fils courir en direction de la cuisine, mais ne sait pas que le père est absent. Quand il apprend que son fils « intellectuellement limité » a été chargé de surveiller le bambin, il est déjà trop tard.

Il entend le jappement du chien et les cris du garçon. Il se précipite dans la cuisine et trouve son petit-fils en pleurs, assis à côté de la cage, l’arcade sourcilière en sang. « Le chien est effouerré dans le fond de sa cage », a-t-il décrit au procès. À l’arrivée des policiers, le chien jappe continuellement. « Un peu tout le monde avait peur », a relaté une sergente-détective.

Heureusement, l’enfant n’a gardé aucune séquelle de l’attaque. Sa cicatrice a d’ailleurs pratiquement disparu, a témoigné sa mère.

Le pitbull affichait un « comportement marginal anxieux et moyennement dangereux », selon une experte vétérinaire en comportement animal. Malade, le chien aurait mordu à nouveau dans les mêmes circonstances, a conclu l’experte.

La bête a été euthanasiée dans les jours suivant l’attaque à la demande de son propriétaire, au grand dam de la défense, qui a tenté, en vain, d’obtenir l’arrêt du processus judiciaire pour « destruction » de preuve.

Un témoignage « invraisemblable » du père

La juge a rejeté le témoignage « invraisemblable », « imprécis » et rempli d’« incongruités » de l’accusé, qui minimisait l’agressivité du pitbull et les difficultés de son frère. La juge n’a également pas cru que l’accusé avait prévenu son père au moment de son départ.

Le frère de l’accusé n’est pas à blâmer dans ce drame, maintient la juge Nathalie Duchesneau. Ses limites intellectuelles et son importante difficulté de concentration étaient notoires. Un parent responsable, ajoute la juge, aurait dû être en mesure d’évaluer l’incapacité de cet homme à surveiller un jeune garçon, surtout en présence d’un chien dangereux.

« La décision spécifique [du père] de laisser son enfant de 2 ans, sans défense, à une personne intellectuellement limitée, combinée, encore une fois, à la présence d'un chien dangereux à proximité, comportait ici un potentiel danger flagrant et totalement prévisible. » — La juge Nathalie Duchesneau, dans sa décision du 23 avril

La blessure du bambin n’est donc ni un « malencontreux accident imprévisible » ou une « simple négligence », mais plutôt le résultat d’une « insouciance téméraire ou déréglée [du père] pour la sécurité de son fils », soutient la juge.

Son comportement s’est ainsi éloigné de façon marquée de celui d’un parent raisonnablement prudent, un élément clé dans la décision de le reconnaître coupable de négligence criminelle.

Son avocate, Me Nada Boumeftah, n’écarte pas la possibilité de porter le jugement en appel. Le criminel reviendra en cour le 3 juin au palais de justice de Montréal en vue des observations sur la peine. La procureure Me Anne-Marie Émond représente le ministère public.

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Karim Jean-Gilles

Le cas de Karim Jean-Gilles

Très peu de cas de négligence criminelle liés à des morsures de chien ont fait l’objet d’un procès criminel au Québec. Celui de Karim Jean-Gilles a toutefois fait les manchettes l’an dernier à Longueuil. L’homme de 36 ans a été condamné à une « sévère » peine de quatre ans de pénitencier pour sa « négligence grossière et extrême ». Le pitbull de Karim Jean-Gilles avait mordu la petite Vanessa Biron, 7 ans, dans un parc de Brossard en septembre 2015. La fillette avait subi de graves blessures, qui lui ont laissé des séquelles permanentes au visage. Les chiens de Karim Jean-Gilles terrorisaient le voisinage depuis des mois en se promenant en liberté sans collier ou muselière.