(Ottawa) La Cour suprême du Canada conclut qu’un ancien élève de pensionnat fédéral pour Autochtones avait bel et bien droit à une indemnisation pour agression sexuelle — un arrêt qui permettra surtout de clarifier la portée des mécanismes d’appel dans de tels dossiers.

Pendant plus d’un siècle, des dizaines de milliers d’enfants autochtones ont dû fréquenter des pensionnats, principalement gérés par des communautés religieuses et financés par le gouvernement fédéral. Les élèves, enlevés à leur famille et leur communauté, n’étaient pas autorisés à utiliser leur langue ou maintenir en vie leur culture. D’anciens élèves ont décrit des cas de violence physique, sexuelle et psychologique, dans le cadre du Processus d’évaluation indépendant visant à déterminer comment ils seraient indemnisés pour ce qu’ils ont vécu.

La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, conclue en 2006, établit un mécanisme de révision interne pour les demandes d’indemnisation, qui ne prévoit toutefois aucun droit d’interjeter appel devant les tribunaux. Cependant, des « juges de supervision » dans chaque province veillent à la bonne mise en œuvre de la Convention.

La décision de la Cour suprême concerne un Autochtone, appelé simplement « J. W. » pour des raisons de confidentialité, qui soutient avoir été agressé sexuellement par une religieuse dans un pensionnat au Manitoba. La religieuse aurait saisi son pénis alors qu’il était légèrement vêtu en faisant la file pour les douches.

Sa demande d’indemnisation avait toutefois été rejetée par une première adjudicatrice, parce qu’il n’avait pas démontré que la religieuse avait agi dans un but sexuel. Ses efforts pour faire infirmer ensuite cette décision par d’autres adjudicateurs ont échoué, mais un juge superviseur a conclu que les décisions internes étaient fautives et il a renvoyé l’affaire à la phase initiale du Processus d’évaluation indépendant.

Une adjudicatrice de réexamen a finalement accueilli la demande de « W » et lui a accordé en septembre 2016 une indemnité de 12 720 $. Mais avant que cette décision ne soit mise en œuvre, le gouvernement fédéral a contesté avec succès la décision du juge superviseur : la Cour d’appel du Manitoba a conclu qu’en vertu de la Convention, un tribunal ne pouvait pas procéder à un examen détaillé des décisions rendues par le Processus d’évaluation indépendant.

Or, la Cour suprême déclare maintenant que les tribunaux peuvent effectivement intervenir si un plaignant estime que les conditions de la Convention de règlement ne sont pas respectées.

Des motifs différents

Cependant, en examinant les faits spécifiques de la cause « J. W. », seuls cinq des sept juges ont convenu que son appel était recevable et qu’il pouvait être indemnisé. Et ces cinq juges se sont divisés selon deux axes de raisonnement.

Dans les motifs concordants, la juge Rosalie Abella écrit, pour deux de ses collègues, que les parties n’ont pas le « droit général » de s’adresser aux tribunaux, mais possèdent effectivement le droit de « faire exécuter les modalités du règlement ».

« Le pouvoir de surveillance des tribunaux doit permettre l’intervention judiciaire lorsque celle-ci est nécessaire pour s’assurer que les parties obtiennent effectivement les avantages qui leur ont été promis », soutiennent les trois juges.

Mme Abella salue d’abord la Convention de règlement de 2006, partie d’un processus qui « tient compte de façon respectueuse des torts durables qui ont été causés et de la nécessité de les réparer ».

« L’héritage de ces sévices a causé de profondes blessures non seulement à ceux qui ont été forcés de fréquenter ces établissements, mais aussi à notre conscience collective, écrit-elle. Le processus de rétablissement, lorsqu’il est possible, est long et pénible. »