Les enfants de feu Pierre Péladeau sont sur le point de résoudre une chicane familiale de plusieurs millions de dollars qui traîne devant les tribunaux depuis 19 ans, après avoir été sermonnés par un juge de la Cour supérieure, qui les a exhortés à s'entendre en se demandant : « Qu'est-ce que pôpa déciderait ? »

À la suite de négociations de dernière minute, mardi, au palais de justice de Montréal, les avocats de Pierre Karl Péladeau et de son frère Érik ont annoncé qu'ils avaient conclu un accord avec ceux de leur soeur Anne-Marie, mais que la question des honoraires d'avocats posait toujours problème.

Mme Péladeau réclame 88 millions à ses deux frères, qui lui proposent de leur côté 51,6 millions, d'ici trois ans, pour régler leur litige au sujet d'une entente conclue en 2000 pour le rachat des intérêts de leur soeur dans l'entreprise qui contrôle Québecor.

Après de nombreuses procédures judiciaires, l'affaire se retrouvait mardi devant le juge Gérard Dugré pour huit jours d'audience. Mais le magistrat a demandé à plusieurs reprises aux parties de tenter de s'entendre, « prendre un café ensemble, respirer par le nez et évaluer les options ».

« Ça fait quand même 19 ans que madame attend après son foin, a-t-il lancé. Elle a le droit de vivre selon sa fortune. »

Les avocats d'Anne-Marie Péladeau ont indiqué, après une pause de quelques heures, qu'ils acceptaient la somme offerte si elle était versée immédiatement. Mais Pierre Karl Péladeau s'oppose à ce qu'une partie de cette somme serve à payer les avocats de sa soeur, qui devraient toucher 15 % pour leurs honoraires.

« L'objectif de mon frère, c'est de ne pas payer mes avocats, parce que ça le fait chier, a déploré Mme Péladeau à sa sortie de la salle d'audience. Il est prêt à négocier, mais les avocats, il ne veut pas les payer. »

Le président et chef de la direction de Québecor, présent en cour, n'a pas fait de commentaires et a ignoré sa soeur tout au long de la journée.

Selon le dernier classement du magazine américain Forbes, la valeur nette de Pierre Karl Péladeau s'établissait à 1,7 milliard en date de mardi, ce qui le place au 1349e rang mondial de la richesse individuelle.

« Il se prend pour Dieu le père ! », a lancé Anne-Marie Péladeau, alors que son frère quittait les lieux pour aller accorder des entrevues au sujet du litige qui oppose Québecor à Bell.

15 % pour les avocats

L'entente conclue en 2000 visait à régler un litige au sujet de la succession de Pierre Péladeau, mort en 1997. En raison des contestations et procédures judiciaires de part et d'autre, Anne-Marie Péladeau a reçu seulement 12 millions depuis la signature de l'entente, pour elle et pour sa fille Marie-Pierre, qui travaille comme infirmière.

Parce qu'elle est privée de sa part d'héritage, la fille du milliardaire a dû faire appel à des organismes de charité pour se nourrir, a affirmé son avocat.

« Elle a été obligée d'aller à la banque alimentaire, on a fait des emprunts approuvés par la Cour supérieure parce qu'elle n'avait pas d'argent pour mettre de la nourriture dans son frigo. C'est ça, la réalité ! », a lancé Me Philippe Trudel, en réponse à une question du juge.

« C'est quand même étonnant que, pour quelqu'un qui a reçu jusqu'à aujourd'hui 12 millions, et 7,8 millions avant 2015, on parle d'indigence », a rétorqué l'avocat des frères Péladeau, Me François Fontaine.

Les frères seraient disposés à verser les 39,6 millions restant (pour un total de 51,6 millions), mais s'inquiètent de voir fondre l'héritage de leur soeur en raison de la facture judiciaire, a indiqué leur avocat.

« Est-ce dans l'intérêt de madame que ses actifs soient amputés de 15 % ? On parle d'une personne vulnérable, qui a un tuteur aux biens. C'est une préoccupation pour mes clients », a souligné Me Fontaine.

« Mais est-ce raisonnable et de bonne foi de retenir le capital de 40 millions de madame, parce qu'on ne veut pas qu'elle verse 7 millions à ses avocats, alors que ça fait 19 ans qu'elle attend ? », a rétorqué le juge Dugré.

Les avocats de Mme Péladeau ont expliqué qu'ils n'avaient jamais été payés, alors qu'ils représentent leur cliente depuis 20 ans. « C'est très habile de la part de l'autre partie de dire que si l'entente achoppe, c'est à cause des avocats », a déploré MeBruce Johnston.

« Si vous voulez régler pour avoir la paix familiale, il faut mettre de l'eau dans son vin, être en mode concessions, a fait valoir le juge. Tout le monde est assez intelligent, et même très argenté. Vous n'êtes pas si loin d'une entente. »

« Couper les vivres »

En l'absence d'entente, Pierre Karl Péladeau a commencé son témoignage dans le cadre du procès, hier après-midi. Il a expliqué dans quel contexte l'entente de 2000 avait été négociée, dans la foulée de la succession du fondateur de Québecor.

En raison des problèmes de toxicomanie qu'Anne-Marie Péladeau éprouvait à l'époque, un conseil de famille avait demandé sa mise en tutelle, créé une fiducie à son nom et décidé de lui couper les vivres, a-t-il dit.

« On voulait faire en sorte que cet argent-là ne soit pas versé directement entre ses mains, pour qu'il ne soit pas disponible pour le crime organisé », a expliqué M. Péladeau, répondant aux questions du juge et de l'avocat de sa soeur, à la barre des témoins. « Anne-Marie avait assez d'argent pour vivre, mais pas trop pour ne pas se faire abuser. »

En entendant son frère rappeler certains épisodes douloureux, Mme Péladeau sanglotait dans la salle d'audience.

Le témoignage de Pierre Karl Péladeau doit se poursuivre aujourd'hui, à moins que les parties n'en arrivent à une entente.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pierre-Karl Péladeau