S'abreuvant des plus récentes révélations à Ottawa dans l'affaire SNC-Lavalin, la firme d'ingénierie a bonifié ses arguments soumis à la Cour fédérale d'appel pour éviter un procès pour corruption. L'entreprise québécoise parle « de faits nouveaux et profondément troublants » dans sa procédure déposée jeudi.

Elle soulève notamment que le témoignage de l'ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould démontre qu'elle a statué sur son cas sans avoir toutes les données en main.

Ces informations auraient pu changer le résultat, laisse entendre l'entreprise.

SNC-Lavalin cherche à bénéficier d'un accord de poursuite suspendue (APS) qui lui a été refusé par la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel. La Cour fédérale a refusé en mars de forcer la directrice à négocier, d'où cet appel.

Mme Wilson-Raybould, elle, avait décidé de ne pas intervenir dans la décision de la directrice, malgré les pressions soutenues du bureau du premier ministre. Dans la foulée de cette affaire, elle a démissionné de son poste.

Dans cette plus récente soumission écrite à la Cour fédérale d'appel, la firme d'ingénierie se sert aussi des rapports des médias portant sur les cinq conditions supposément exigées par Mme Wilson-Raybould pour mettre fin à l'affrontement très public avec Justin Trudeau, dont celle demandant un engagement que son successeur, David Lametti, ne fasse pas bénéficier SNC-Lavalin d'un APS.

Si cette exigence a vraiment été formulée par l'ancienne procureure générale, cela démontre « une incompréhension de ses devoirs et responsabilités ou trahit une profonde hostilité envers l'entreprise », écrit SNC-Lavalin dans la procédure.

Elle estime que Mme Wilson-Raybould disposait d'une information incomplète lorsqu'elle a adopté sa position.

Ainsi, lors de son témoignage devant le comité parlementaire de la justice, elle a déclaré que le 16 septembre 2018, elle s'était déjà fait une opinion à l'effet qu'il n'était pas approprié d'intervenir.

Ce jour-là, la procureure générale avait en main un mémorandum remis sur ce sujet par Mme Roussel le 4 septembre. Après le 4 septembre, les avocats du Bureau des poursuites pénales ont accepté de recevoir plus d'information et de documentation de la part de SNC-Lavalin, dont certaines ont été remises le 7 septembre et d'autres le 17 septembre - soit après la position adoptée par Mme Wilson-Raybould.

Bref, beaucoup de choses se sont passées entre le 4 et le 16 septembre, avance la firme.

Ces informations supplémentaires démontraient que les objectifs de la loi qui permet les APS étaient remplis, argue SNC-Lavalin. Cela démontrait aussi qu'elle avait fait le ménage dans sa direction depuis les actes reprochés.

Tout porte à croire que la procureure générale ignorait tout cela, soumet l'entreprise, et que Mme Roussel ne l'a pas tenue informée des nouveaux faits reçus.

« Cet échec est au coeur du processus décisionnel de la Directrice des poursuites pénales dans cette affaire et constitue un évident abus de procédure », est-il écrit.

Le pourquoi du refus

Dans la procédure, on peut lire la première mention publique des raisons soutenant le refus d'un APS.

La firme allègue n'avoir su que le 5 septembre pourquoi le Bureau des poursuites pénales semblait se diriger vers un refus : « la nature et la gravité » des actes reprochés, le niveau d'implication des hauts dirigeants et le fait que l'entreprise n'ait pas déclaré elle-même les agissements à l'origine des poursuites.

Compte tenu de toute la preuve soumise après cette date, il est clair que le premier reproche est basé sur de l'information incomplète, est-il écrit. Quant aux deux autres, « ils sont non fondés, capricieux et constituent un abus de procédure ».

Ce dernier développement a rattrapé le premier ministre Justin Trudeau, de passage à Scarborough, en Ontario, pour faire une annonce sur le logement abordable.

« La responsabilité de décider d'intervenir ou non demeure entièrement chez le procureur général », a dit, une fois de plus, M. Trudeau.

« Comme nous le savons tous maintenant très très clairement, à travers le pays », a-t-il ajouté, sourire en coin, avant de conclure que c'est le ministre David Lametti qui « prendra ces décisions en bonne et due forme ».

Ces derniers jours, M. Lametti s'est toujours montré extrêmement prudent, refusant de commenter le dossier qui est toujours devant les tribunaux. « N'importe quelle chose que je pourrais dire va être examinée très minutieusement. Et ça pourrait avoir un impact sur le litige. Donc je ne vais rien dire. Je ne vais pas me prononcer là-dessus », répétait-il encore jeudi après-midi.

SNC-Lavalin fait face à des accusations de corruption dans ses relations avec l'ancien gouvernement libyen, lui ayant supposément payé des millions de dollars en pot-de-vin pour obtenir des contrats.

Un procès qui se solderait par un verdict de culpabilité pourrait signifier que la compagnie n'aura plus accès à des contrats du gouvernement canadien pendant 10 ans.