La preuve, pourtant close la veille, a été rouverte jeudi au procès du Journal de Mourréal et de son cofondateur, Janick Murray-Hall, lorsque l'avocat de Québecor, Me Marek Nitoslawski, a sorti de son chapeau un lapin qui s'y était introduit de lui-même la veille, et pas n'importe lequel.

La journaliste et animatrice Anne-Marie Dussault, de Radio-Canada, a obtenu la permission de témoigner pour Média QMI afin de parler de l'impact négatif d'une fausse nouvelle du Journal de Mourréal en 2015 faisant état d'une relation intime entre elle et le ministre de la Santé de l'époque, Gaétan Barrette.

Le sort du Journal de Mourréal est maintenant entre les mains de la juge Micheline Perrault, de la Cour supérieure, qui a pris sa décision en délibéré, mais cette dernière journée, initialement réservée aux plaidoiries, aura surtout été marquée par le témoignage de Mme Dussault.

D'entrée de jeu, on a appris que c'est Mme Dussault elle-même qui s'était manifestée auprès de Me Nitoslawski, mercredi après-midi.

Mme Dussault n'a pas mâché ses mots en racontant les effets de l'article sur sa vie et celle de son conjoint, Marc Laurendeau : « Nous avons été touchés, bouleversés, affligés, dérangés, attaqués dans notre intégrité par les informations diffusées par le Journal de Mourréal », dont les conséquences se sont fait sentir « jusqu'à tout récemment encore ».

Elle a raconté que plusieurs personnes pourtant éduquées, très au fait de l'actualité, lui avaient demandé ce qui se passait, notamment l'ex-premier ministre Bernard Landry, qu'elle avait croisé à un concert de l'Orchestre symphonique de Montréal. « Il passe devant moi et me dit : "écoute Anne-Marie, c'est pas vrai ? T'as pas laissé Marc pour le docteur Barrette ? " »

L'ombudsman de Radio-Canada l'avait également informée de plusieurs plaintes contre elle puisqu'on la jugeait en conflit d'intérêts, le ministre Barrette étant régulièrement interviewé par la journaliste.

« Vous ne savez pas ce que ça veut dire »

Mme Dussault, d'une voix qui maîtrisait difficilement une vive émotion, a reproché à Janick Murray-Hall, le cofondateur du Journal de Mourréal, de produire de telles faussetés dans le but précis d'induire le public en erreur et d'amener les gens à y croire en utilisant la marque de commerce du Journal de Montréal.

« Le Journal de Montréal a servi d'instrument à propager une information fausse, affligeante, dommageable et vous ne pouvez pas savoir ce que ça veut dire de se faire décrire dans des comportements sexuels, M. Hall, vous ne savez pas ce que ça veut dire. C'est une atteinte profonde et ça persiste encore », a-t-elle déclaré.

« Ça porte atteinte à mon intégrité physique, personnelle et professionnelle et le but d'une nouvelle comme celle-là, c'est d'induire le public en erreur. Des gens informés, intelligents, éduqués qui connaissent les nuances, qui sont informés, l'ont crue », a affirmé l'animatrice-vedette.

Excuses

Visiblement ébranlé à la fois par l'effet de surprise et par la détresse du témoignage de Mme Dussault, Janick Murray-Hall a offert de retirer l'article de ses plateformes immédiatement et de publier des excuses publiques.

« À voir l'état dans lequel ça vous a mis, si j'aurais été mis au courant, ça m'aurait fait plaisir de l'enlever tout de suite. Je peux l'enlever tout de suite », a-t-il dit.

« Avec des excuses peut-être ? », a répliqué Mme Dussault.

« Des excuses publiques, ça me ferait plaisir », a répondu Janick Murray-Hall.

Dans les minutes suivantes, il s'est à nouveau excusé et Mme Dussault l'a remercié et a accepté ses excuses et le jeune est retourné la voir dans la salle par la suite pour s'excuser encore une fois.

Ce revirement inattendu n'a occupé qu'environ 45 minutes jeudi matin, mais risque d'avoir un certain poids, le témoignage de Mme Dussault étant le seul élément de preuve qui mette en jeu une « victime » de la parodie véhiculée.

« Opportunisme, prétexte et illusion »

Me Nitoslawski a ensuite amorcé sa plaidoirie, insistant sur le fait que la cause du Journal de Mourréal en était une d'abord et avant tout « d'opportunisme, de prétexte et d'illusion ».

Il a fait valoir que l'usage du nom du Journal de Montréal lui avait permis d'amasser 36 600 $, qu'il avait tenté d'obtenir une compensation pour cesser d'utiliser le nom et le logo du Journal et s'est appuyé sur le témoignage inattendu de Mme Dussault pour qualifier le tout « d'opportunisme qui ignore le tort qu'il cause. C'est un opportunisme cynique, qui malheureusement semble caractériser notre ère », sur le dos du Journal de Montréal en portant atteinte à la valeur de sa marque de commerce dans un contexte où « c'est déjà assez difficile pour les médias ».

La parodie du Journal de Mourréal, selon lui, n'est qu'un prétexte puisque l'autre site de fausses nouvelles satiriques des défendeurs, le « World News Daily Report », fait beaucoup plus d'argent et n'a besoin d'aucune marque de commerce pour y arriver.

Me Nitoslawski a reproché à Janick Murray-Hall de véhiculer « l'image de David qui s'attaque au Goliath Québecor ».

« Un David qui fait 46 000 $ par mois, même des fois 57 000 $ par mois avec son site de fausses nouvelles, ce n'est plus un David ; il commence à ressembler à un Goliath lui-même », a affirmé Me Nitoslawski en faisant référence au deuxième site de fausses nouvelles satiriques du défendeur, le « World News Daily Report ».

Reprenant les mots du défendeur, il a ironisé : « M. Murray-Hall, hier, s'est décrit comme la brebis perdue. Je dirais plutôt que c'est un fin renard. »

Pas une affaire de droits d'auteur.

Le juriste a rappelé que son client, Média QMI, qui chapeaute le Journal de Montréal, n'est devant la Cour que pour une seule et unique raison, soit de défendre son image en invoquant une entrave à la Loi sur les marques de commerce.

La défense de parodie et de satire, qui s'applique en matière de droits d'auteur, ne s'applique pas en matière de marques de commerce, a-t-il fait valoir, invoquant des jugements récents en ce sens.

Il a ajouté que la jurisprudence établit que la Loi sur les marques de commerce ne vise pas seulement à protéger l'usage de la marque, mais aussi à protéger le consommateur contre la confusion dans le marché quant à l'origine des produits ou services qu'il veut consommer.

« Le témoignage et le cas de Mme Dussault confirment tout ce qu'on vous dit », a fait valoir Me Nitoslawski à la juge Micheline Perrault. « Vous voyez, c'est susceptible de créer de la confusion. Les gens semblent croire à cette nouvelle et penser que ça vient du Journal de Montréal. »

Même si le nom, le logo et l'adresse internet du Journal de Mourréal diffèrent par deux lettres des originaux, le droit établit que deux marques n'ont pas à être identiques pour créer la confusion et que, s'il y a confusion possible, on parle de contrefaçon.

« La marque de commerce est l'un des éléments d'actifs les plus précieux d'une entreprise », a martelé l'avocat.

En plus, le Journal de Mourréal ne fait pas que parodier la marque, mais l'utilise lui-même comme marque de commerce puisqu'il en tire des revenus.

Il a noté que « si leur but est de parodier l'actualité, ils peuvent le faire sans utiliser la marque de commerce du Journal de Montréal », comme le démontre très clairement leur autre site anglophone.

« Il serait de mon côté »

En livrant sa propre plaidoirie, Janick Murray-Hall a pris soin de tempérer les propos de son vis-à-vis en contestant le chiffre de 46 000 $ par mois de revenus, indiquant que ces revenus ne correspondaient pas à une réalité mensuelle.

Il a rejeté la théorie selon laquelle il jouait les David contre Goliath en n'embauchant pas d'avocat, laissant tomber qu'il ne gagnait pas 46 000 $ par mois « sinon je me serais payé des avocats. J'aurai probablement engagé Me Nitoslawski, il serait ici de mon côté. »

Il a ensuite cherché à ramener le débat sur la question de la liberté d'expression, citant une jurisprudence dans laquelle il est écrit que « la parodie n'est pas simplement un moyen de défense à une violation du droit d'auteur. Il s'agit aussi d'un aspect de la liberté d'expression ».

« On n'est pas seulement dans le droit des marques de commerce », a-t-il fait valoir, estimant que ces notions ne s'appliquent pas lorsqu'on en fait un usage non commercial, ce qui est le cas de la page Facebook du Journal de Mourréal, mais pas de son site qui, lui, a finalement rapporté 38 005,21 $ de 2013 à 2019.

Quant au fait que ses publications n'indiquent pas assez clairement qu'il s'agit de satire, il a plaidé que la notion de « personne moyenne d'intelligence ordinaire agissant avec la prudence normale » impliquait nécessairement qu'« à l'ère des "fake news", la prudence normale c'est de vérifier ses sources. C'est la base. On ne va pas, sur l'internet, croire n'importe quoi. »

Janick Murray-Hall a cependant déjà obtenu gain de cause sur au moins un point : dans sa demande, Média QMI cherchait à l'empêcher d'utiliser les mots « Journal », « Montréal » et « Mourréal », une demande qui a soulevé des interrogations de la juge Perrault, et Me Nitoslawski a reconnu que l'on avait peut-être fait preuve d'un « excès de zèle » en rédigeant le document.

Ce n'est pas la première fois que Média QMI tente de s'approprier les droits exclusifs sur l'utilisation du mot « Journal », le Registre canadien des droits d'auteur indiquant clairement que « le droit à l'usage exclusif du mot "journal" en dehors de la marque de commerce n'est pas accordé » à Média QMI.