La majorité des corps policiers américains a beau s'être dotée de caméras corporelles, ces appareils ne représentent pas la panacée, conclut la plus vaste recension des études menées sur cette nouvelle technologie. Une baisse du nombre de plaintes contre les policiers a été observée, mais rien n'indique que le comportement des agents s'est amélioré et que la confiance des citoyens a été rétablie.

Une équipe de criminologues de l'Université George Mason, en Virginie, a décidé de se pencher sur l'efficacité des caméras corporelles, devant leur prolifération au sein des services policiers. En 2016, le département de la Justice constatait que 60 % des corps policiers américains avaient équipé leurs agents de ces appareils. Les chercheurs évaluent même que le taux aurait dépassé les deux tiers à la fin de 2018.

Les auteurs constatent que les caméras corporelles ont été présentées comme une façon efficace de corriger les comportements policiers problématiques et de rétablir la confiance du public à la suite d'interventions funestes hautement médiatisées, dont Trayvon Martin en 2012, Michael Brown en 2014 et Freddie Gray en 2015.

Mais voilà, les quelque 70 études sur l'impact des caméras corporelles recensées par les chercheurs de George Mason démontrent un impact mitigé.

« Les attentes et les inquiétudes face aux caméras corporelles ne se sont pas matérialisées comme on l'anticipait. Il est probable que les caméras seules ne seront pas la panacée pour améliorer le travail policier et les relations avec les citoyens », explique Cynthia Lum, professeure de criminologie qui a dirigé la recension d'études

Alors que les caméras ont été présentées comme une façon d'assurer la reddition de comptes des policiers à propos de leurs interventions, les auteurs ont constaté que les caméras servent surtout à poursuivre les citoyens. En effet, 93 % des vidéos ont été utilisées dans des causes ne ciblant pas des agents.

Pas de « changements draconiens »

Sur les 70 études, 32 se sont penchées sur la question du comportement des policiers. Celles-ci ont noté une baisse du nombre de plaintes contre les agents portant la caméra comparativement à ceux qui n'en portaient pas. La cause de cette baisse est toutefois moins évidente ; il pourrait s'agir simplement d'une diminution du nombre de plaintes frivoles et non fondées. Rien ne permet de démontrer une amélioration du comportement des policiers.

« Les caméras corporelles n'ont pas produit de changements draconiens dans les comportements policiers, pour le meilleur ou pour le pire. Même si les premières études semblaient indiquer une baisse dans l'utilisation de la force, les études plus récentes sont plus mitigées, peut-être en raison de la façon dont sont utilisés ces appareils », écrivent les chercheurs.

Quant à l'usage de la force, quelques études ont noté une baisse chez les agents équipés d'une caméra, mais plusieurs n'ont noté aucun changement. Les résultats sont aussi mitigés quant au nombre d'arrestations effectuées par les policiers. Trois ont noté une baisse, trois, une hausse et deux n'ont relevé aucun changement.

Charge de travail plus lourde

La majorité des études a déterminé que les policiers finissaient par les voir positivement. Plusieurs d'entre eux utilisent les images pour rédiger leurs rapports plutôt que se fier à leur mémoire, estimant que cela améliore leur prestation de travail.

Les problèmes techniques ont représenté le principal écueil : le temps pour télécharger les images peut être long, ce qui alourdit leur charge de travail. D'ailleurs, l'une des études recensées a constaté une hausse du taux d'épuisement professionnel chez les policiers qui portent la caméra et l'a attribuée à la hausse de la charge de travail.

Cette recension fait surface alors que la question des caméras corporelles est toujours débattue à l'hôtel de ville. L'administration Plante a récemment décidé d'écarter la technologie pour le moment, mais elle a été vivement critiquée par l'opposition. Un citoyen a d'ailleurs profité de la période des questions lors d'une séance du conseil municipal pour dénoncer la décision.

« On peut penser que les caméras corporelles peuvent rétablir le climat de confiance, mais d'importantes lacunes ont été constatées durant le projet-pilote », a dit Nathalie Goulet, élue responsable de la sécurité publique au sein de l'administration Plante. Elle a ajouté que les vidéos captées étaient souvent incomplètes et que le traitement administratif était trop lourd. « Le système judiciaire n'est pas prêt à recevoir ces vidéos », a-t-elle ajouté.