Dans le scandale de Triglobal, un avocat qui avait recommandé à répétition à ses clients d'investir leur argent auprès d'un professionnel de cette firme en qui il disait avoir confiance - mais qui a ensuite commis une fraude massive de type Ponzi - devra rembourser les millions de pertes subies par eux, vient de trancher la Cour suprême du Canada.

Triglobal est l'une des plus grandes fraudes d'investissement au Québec, qui remonte à plus de 10 ans.

Globalement, elle a fait perdre près de 100 millions à une centaine d'investisseurs.

Dans une décision rendue jeudi à huit juges contre un, le plus haut tribunal du pays confirme qu'un avocat peut être tenu responsable pour avoir recommandé un professionnel, lorsqu'il a continué à rassurer ses clients pendant des années et qu'il a recommandé des placements qui ne correspondaient pas à leurs besoins d'épargne exprimés. Il s'agissait ici plus que d'un simple aiguillage vers un professionnel, écrit la Cour suprême.

« La présente espèce concerne un avocat qui, sur une période de plusieurs années, recommande et commente favorablement un conseiller financier et des produits financiers, et encourage ses clientes à conserver leurs placements chez ce conseiller », est-il écrit.

En 2003, Me Kenneth Salomon présente à Judith Matte-Thompson son ami proche et conseiller financier personnel, Themis Papadopoulos, et lui recommande de le consulter. Au cours des quatre années qui suivent, celle-ci et son entreprise finissent par investir plus de 7,5 millions dans la société de placements de M. Papadopoulos, Triglobal Capital Management. Les placements sont effectués dans des fonds - situés aux îles Cayman et aux Bahamas - liés à Triglobal et qui faisaient partie d'un stratagème de type Ponzi.

En 2007, M. Papadopoulos, « l'âme dirigeante de Triglobal », et son associé, Mario Bright, se sont volatilisés.

Ils ont disparu avec les millions de dollars de Mme Matte-Thompson et de son entreprise ainsi qu'avec l'argent d'une centaine d'autres investisseurs.

Mme Matte-Thompson a poursuivi MM. Papadopoulos et Bright ainsi que Me Salomon et son cabinet pour négligence professionnelle.

En 2014, le tribunal de première instance a condamné les conseillers financiers - par défaut, car ils ne se sont pas défendus - mais a rejeté l'action contre l'avocat et son cabinet.

Ce jugement a été infirmé par la Cour d'appel en février 2017. Le tribunal a alors condamné solidairement Me Salomon et son cabinet à payer une somme de près de 7 millions en dommages-intérêts compensatoires à Judith Matte-Thompson et à son entreprise.

La Cour d'appel avait alors souligné que l'avocat « a manqué à de multiples reprises à son devoir de conseil et de loyauté » et que les pertes subies avaient « un lien immédiat et direct avec les fautes de Me Salomon ».

La Cour suprême a confirmé ce jugement jeudi.

« Tout d'abord, Me Salomon n'aurait pas dû recommander un placement non diversifié dans des fonds spéculatifs extraterritoriaux à des clients dont l'objectif principal est la préservation de leur capital. » Il n'aurait pas non plus dû recommander des produits financiers sans faire preuve d'aucune forme de diligence appropriée au sujet de ces produits, peut-on lire dans le jugement.

Puis, lorsque ses clientes s'inquiètent pour leurs placements au cours des années, « Me Salomon n'a ménagé aucun effort pour convaincre les intimées d'effectuer - et de conserver - des placements chez Triglobal ».

« Qui plus est, fermant les yeux sur un conflit d'intérêts, Me Salomon s'est trouvé à servir deux maîtres et à sacrifier les intérêts des intimées (Mme Matte-Thompson et son entreprise). »

La commission d'une fraude par un tiers (les conseillers Papadopoulos et Bright) n'empêche pas non plus que des personnes qui ont omis de prendre les précautions requises soient tenues responsables, écrit la Cour suprême en confirmant la décision de la Cour d'appel qui avait condamné Me Salomon et son cabinet à payer quelque 7 millions.