Ça y est, c'est fini. À la suite d’une négociation avec la Couronne, une filiale de SNC-Lavalin a plaidé coupable à une accusation de fraude en lien avec les projets en Libye, mercredi matin, devant la Cour du Québec à Montréal. L'entreprise en a maintenant terminé avec les procédures criminelles qui avaient provoqué une crise au sein du gouvernement Trudeau.

Le plaidoyer de culpabilité concerne seulement la filiale SNC-Lavalin Construction. Les procédures sont arrêtées contre le groupe SNC-Lavalin lui-même et la division SNC-Lavalin International.

Dans le cadre du plaidoyer, un arrêt des procédures a été obtenu quant au chef de corruption d’agent public étranger, qui aurait valu à l’entreprise d’être bannie des contrats publics au Canada pour une période de dix ans.

À la suggestion commune des deux parties, le juge de la Cour du Québec Claude Leblond a imposé à SNC-Lavalin une amende de 280 millions de dollars et une probation de trois ans incluant des mesures de contrôle pour éviter une récidive. Le montant de l’amende a été déterminé en comparant notamment les sommes payées par des entreprises coupables de crimes semblables aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Le déblocage survenu dans cette saga judiciaire a été accueilli favorablement par les investisseurs, puisqu’à la Bourse de Toronto, mercredi, l’action de SNC-Lavalin a pris 4,58 $, ou environ 19 %, pour clôturer à 28,70 $

Les emplois pris en compte

« L’amende qui est proposée n’est pas bonbon, mais plutôt une amende proportionnée, effective et dissuasive. Ça tient compte des facteurs aggravants, des facteurs très sérieux liés au chef de fraude », a expliqué le procureur de la Couronne fédérale, Me Richard Roy.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Le procureur de la Couronne fédérale, Me Richard Roy.

Me Roy a souligné que le code criminel obligeait la couronne à tenir compte de l’impact d’une amende sur la viabilité de l’entreprise et sa capacité à garder ses employés. « On en a tenu compte », a-t-il dit.

Le grand ménage effectué par l’entreprise, qui a complètement changé sa haute direction et son conseil d’administration et qui a collaboré avec la police, a aussi été reconnu devant la cour. « Nous reconnaissons que depuis 2012, la compagnie a complètement changé », a déclaré Me Roy.

L’entreprise a reconnu les faits. Environ 127 millions avaient été détournés chez SNC-Lavalin entre 2001 et 2011 : une cinquantaine de millions ont été utilisés pour verser des pots-de-vin à Saadi Kadhafi, le fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Le reste a été accaparé par Sami Bebawi et Riadh Ben Aïssa, deux anciens cadres supérieurs de l’entreprise qui ont saisi l’occasion de s’enrichir au passage.

La victime de la fraude était l’État libyen, qui payait un prix gonflé pour de grands travaux parce que SNC-Lavalin incluait le coût des pots-de-vin dans le prix des contrats.

SNC-Lavalin s’engage à ne jamais chercher à récupérer les coûteux équipements qu’elle a abandonnés sur le terrain à la chute du dictateur libyen et renonce à réclamer une somme de 17 millions d’euros qui était gelée par les autorités libyennes.

SNC-Lavalin a réalisé pour près de 2 milliards de projets en Libye entre 2001 et 2011, et réalise plus de 100 millions en profits nets après dépenses, selon la Couronne.

Tourner la page

Les négociations allaient bon train depuis plusieurs mois et les avocats de l’entreprise ont précisé que l’annonce d’un plaidoyer de culpabilité mercredi n’avait rien à voir avec le verdict rendu dimanche par un jury qui a trouvé l’ancien cadre Sami Bebawi coupable de fraude et corruption en lien avec les mêmes faits.

« La compagnie est très contente de pouvoir enfin tourner la page, de mettre fin aux procédures et d’enlever toute l’incertitude qui vient avec des procédure de ce type là », a dit Me François Fontaine, l’avocat de SNC-Lavalin. Il a souligné que l’entreprise allait pouvoir continuer de soumissionner pour obtenir des contrats publics.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

L’avocat de SNC-Lavalin, Me François Fontaine.

« C’est ce qui est le plus proche d’un accord de réparation, bien qu’on ait plaidé coupable », a-t-il dit. Rappelons que l’entreprise avait tenté sans succès d’obtenir une entente hors-cour afin de payer une pénalité et reconnaître ses torts sans être condamnée au criminel. Les pressions du bureau de Justin Trudeau en ce sens avaient provoqué un conflit ouvert avec l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould.

Le ministre de la Justice, David Lametti, qui a succédé à Jody Wilson-Raybould, a confirmé avoir été informé que le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) et les avocats de la firme montréalaise avaient conclu une entente, mardi. « La décision a été prise de façon indépendante par le SPPC », a souligné le ministre dans une déclaration.

« Le SPPC a la responsabilité d’évaluer et de déterminer la voie appropriée pour les procédures relevant de sa compétence. Les Canadiens peuvent avoir confiance dans notre système judiciaire, celui-ci fonctionne comme il se doit », a ajouté le procureur général.

C’est la directrice du SPPC, Kathleen Roussel, qui a informé le ministre comme le stipule la loi pour les « affaires jugées d’intérêt général », est-il aussi précisé.

Le ministre de la Justice du gouvernement de Justin Trudeau, David Lametti disposait toujours du pouvoir, selon la loi, d’infirmer la décision de la DPP, prise à l’automne 2018, de ne pas inviter SNC-Lavalin à négocier une entente de réparation.

C’est dorénavant bien connu que Jody Wilson-Raybould avait refusé de la faire, malgré les pressions « indues et soutenues » de l’entourage du premier ministre.

Wilson-Raybould réagit au verdict

L’ancienne ministre Jody Wilson-Raybould, qui avait accusé le bureau du premier ministre et plusieurs membres de la garde rapprochée de Justin Trudeau d’avoir exercé sur elle des pressions indues pour qu’elle dispense la firme d’un procès criminel, a offert sa réaction dans un trio de gazouillis sur Twitter.

« Je crois depuis longtemps en la nécessité absolue que notre système de justice fonctionne comme il le devrait – en étant basé sur la règle de droit et l’indépendance de la poursuite, et sans interférence ou pression politique », a-t-elle écrit sur le réseau social.

« Ultimement, ce système a été en mesure d’accomplir son travail – comme le requièrent la démocratie et la bonne gouvernance – et nous avons une résolution aujourd’hui [mercredi]. L’imputabilité a été respectée », a ajouté la députée désormais indépendante.

« L’année 2019 a débuté avec des questionnements très publics sur la règle de droit dans notre pays. Je suis heureuse de voir qu’elle se termine avec un respect de ce principe. Le système de justice a fait son travail. Il est temps d’aller de l’avant et, pour la compagnie, de se tourner vers son avenir », a conclu Mme Wilson-Raybould.

L’année a commencé avec un coup de tonnerre pour le gouvernement Trudeau lorsque le Globe and Mail a fait état de pressions inappropriées sur la ministre de la Justice dans le dossier SNC-Lavalin, en février dernier. Dans les semaines qui ont suivi, Mme Wilson-Raybould et Jane Philpott ont claqué la porte du cabinet.

Bonne nouvelle selon Legault

Pour le premier ministre François Legault, ce dénouement représente une « bonne nouvelle ». « C’est un peu ce qu’on proposait » quand on demandait à Ottawa de conclure avec SNC-Lavalin une entente à l’amiable, un accord de réparation, afin d’éviter un procès criminel, a-t-il soutenu à la fin d’une réunion du conseil des ministres à Québec.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault.

Pour le gouvernement, il ne fallait pas « pénaliser tous les employés » de SNC-Lavalin alors que ce sont « quelques personnes qui ont fait des affaires pas correctes ». 

François Legault entend vérifier si des pertes d’emplois auront lieu chez la division construction qui, selon lui, ne peut plus soumissionner pour des contrats publics pendant trois ans.

« A priori, on m’explique que c’est rassurant. […] Oui, je pense que ça aide à s’assurer que le siège social reste au Québec. Évidemment, tout n’est pas joué. Il n’y a pas d’actionnaires de contrôle chez SNC-Lavalin, donc il faut toujours avoir une certaine veille sur ce siège social », a-t-il affirmé.

Le vice-président directeur en charge du marketing chez SNC-Lavalin, Érik J. Ryan, a toutefois été clair au palais de justice mercredi matin.

« C’est clair pour nous que SNC-Lavalin, c’est une compagnie basée à Montréal avec son siège social ici et on veut en faire un champion mondial de l’ingénierie basé à Montréal », a-t-il dit.

- Avec la collaboration de Fanny Lévesque, Mélanie Marquis et Tommy Chouinard