SNC-Lavalin ne payait « jamais de sa poche » quand elle voulait verser des sommes d’argent à des gens qui pouvaient intervenir en sa faveur pour l’obtention d’un contrat ; elle faisait plutôt payer ses clients en gonflant ses prix en conséquence, a expliqué le témoin vedette de la Couronne au deuxième jour du procès de Sami Bebawi, ancien vice-président directeur de la firme.

Sami Bebawi est accusé de corruption d’agent étranger, de fraude, de blanchiment d’argent et de possession de biens volés. La théorie de la Couronne est que sous le règne du président Mouammar Kadhafi en Libye, M. Bebawi a participé au versement de pots-de-vin à Saadi Kadhafi, fils du président, afin d’aider SNC-Lavalin à se faire payer des extras et à obtenir de nouveaux contrats. Les pots-de-vin comprenaient même l’achat d’un yacht, selon la poursuite.

L’ancien subalterne de M. Bebawi, Riadh Ben Aissa, collabore avec la justice canadienne. Il a expliqué au jury vendredi que SNC-Lavalin utilisait couramment des « agents » qui pouvaient servir ses intérêts dans des pays étrangers.

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Riadh Ben Aissa, témoin vedette de la Couronne

La pratique de la compagnie est d’utiliser ses agents pour des buts définis. Par exemple, si on doit payer une personne et qu’on ne peut pas le faire directement. C’est généralement dans le but d’avoir des contrats, des réclamations.

Riadh Ben Aissa

Les sommes à prévoir pour un « agent » étaient ajoutés à la facture du client dans le cadre des grands projets. « Cet argent-là est incorporé dans le prix qu’on fait à un client. C’est toujours de l’argent qui est pris au client et rétrocédé à un agent. La compagnie ne paye jamais de sa poche », a-t-il relaté.

« Il fallait un outil »

Riadh Ben Aissa a raconté qu’au début des années 2000, il fallait payer deux « personnes politiques » qui avaient aidé l’entreprise. Slim Chiboub, gendre du président de la Tunisie, avait aidé SNC-Lavalin à entrer en contact avec Saadi Kadhafi, fils du président de la Libye. Les deux hommes s’attendaient à être payés en échange de leur aide.

« C’était difficile pour SNC de les payer directement. Il fallait un outil pour les payer sans que SNC soit dans la façade », a déclaré M. Ben Aissa.

SNC-Lavalin a donc signé un « contrat d’agent » avec une société anonyme établie dans les îles Vierges britanniques, avec un compte bancaire en Suisse. La société jouait le rôle d’agent, mais elle était en fait contrôlée par Riadh Ben Aissa, selon ce que ce dernier a dit dans son témoignage.

Des millions ont été versés par l’entremise de cette société anonyme. À un moment donné, il a été convenu que celle-ci percevrait 6 % sur la valeur des contrats obtenus par SNC-Lavalin en Libye. Le coût des contrats a été ajusté en conséquence, selon M. Ben Aissa.

C’est quelque chose qui est facturé au client et ça, c’est un montant qui est connu des personnes qui font l’offre de service.

Riadh Ben Aissa

Généralement, SNC-Lavalin était une firme très centralisée, s’est-il souvenu.

« Les décisions sont regroupées au siège social. Surtout les finances […] Il n’y a pas quelque chose qui se fait sans toutes les autorisations, les justifications nécessaires », a-t-il dit.

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Jacques Lamarre, ancien PDG de SNC-Lavalin, Saadi Kaddafi, fils de Mouammar Kaddafi, Riadh Ben Aissa et Gilles Laramée, anciens cadres chez SNC-Lavalin, lors d'une réunion dans la salle du conseil de l'entreprise

Lui-même, quand il était responsable des projets en Libye, recevait beaucoup d’appels de Jacques Lamarre, PDG de SNC-Lavalin, qui suivait tout de très près, se souvient-il. Et il devait faire approuver ses décisions par son supérieur, l’accusé Sami Bebawi.

« Sami Bebawi était mon supérieur, je devais avoir son approbation sur tout », a-t-il assuré.

Au siège social, on avait passé le mot : Saadi Kadhafi devait être l’unique canal par lequel les projets libyens passaient, selon le témoin. « Au niveau de la Libye, ç’a été centralisé, le mot a été passé au niveau de toutes les divisions. Nous avons un seul agent, une seule personne avec qui nous allons travailler : Saadi Kadhafi. »