(Ottawa) La Cour suprême a rétabli le verdict de culpabilité d’un homme qui soutenait que la loi sur la protection des victimes de viol l’avait empêché de se défendre pleinement au procès, même si le plus haut tribunal du pays admet des erreurs dans la manière dont les juges en avaient appliqué les dispositions.

Dans une décision partagée (cinq contre deux), la Cour suprême du Canada conclut que l’accusé avait quand même été en mesure de présenter une défense pleine et entière au procès, compte tenu des questions qu’il avait été autorisé à poser à la jeune victime.

« L’accusé n’a pas été empêché de vérifier adéquatement la preuve en l’espèce en dépit des erreurs commises », écrit la juge Andromaque Karakatsanis au nom de la majorité. « La portée d’un contre-interrogatoire admissible n’aurait pas été plus large que l’interrogatoire qui a effectivement eu lieu. »

Les faits reprochés ont été commis aux petites heures de la fête du Canada en 2013, lors d’un voyage de camping en famille. La plaignante âgée de 15 ans a soutenu que son cousin, « R. V. », alors âgé de 20 ans, l’avait agressée sexuellement dans les toilettes du camping. Le jeune homme a tout nié en bloc.

La Couronne s’est largement appuyée sur le fait que l’adolescente, qui soutient qu’elle était vierge au moment de l’agression, est tombée enceinte à ce moment-là. Mais comme elle a subi un avortement, aucune trace d’ADN n’était disponible pour prouver que l’accusé était le père biologique.

L’avocat de « R. V. » souhaitait contre-interroger la présumée victime sur ses activités sexuelles pour voir si quelqu’un d’autre aurait pu avoir causé cette grossesse. La juge saisie de la demande durant les procédures préalables au procès a toutefois qualifié cet interrogatoire de « recherche à l’aveuglette » et elle a refusé de l’autoriser, sur la base de l’article 276 du Code criminel — qui balise la preuve concernant le comportement sexuel de la plaignante dans une affaire d’agression sexuelle.

L’objectif de cet article est de protéger la vie privée de la présumée victime et d’éliminer le double mythe selon lequel des comportements sexuels antérieurs rendent la plaignante « moins digne de foi ou plus susceptible d’avoir consenti à l’activité à l’origine de l’accusation ».

À l’issue du procès, le juge de première instance a condamné « R. V. » pour contacts sexuels et l’a condamné à une peine de quatre ans de prison.

La Cour d’appel de l’Ontario a par la suite conclu que le tribunal de première instance avait mal appliqué les dispositions de l’article 276. Le tribunal a estimé qu’il était manifestement injuste que la Couronne s’appuie sur la grossesse de la plaignante tout en écartant les questions de la défense à ce sujet. La Cour d’appel a donc annulé le verdict de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès, ce qui a incité la Couronne à faire appel de cette décision en Cour suprême.

Le plus haut tribunal convient que la juge saisie de la demande durant les procédures préalables au procès avait eu tort d’empêcher « R. V. » d’interroger la plaignante sur sa grossesse, et que le juge au procès avait eu tort de maintenir cette décision.

« Puisque l’accusé a nié avoir eu quelque contact sexuel que ce soit avec la plaignante, et en l’absence de toute autre preuve de paternité, la possibilité de contre-interroger la plaignante était un élément fondamental de son droit de présenter une défense pleine et entière », écrit la juge Karakatsanis. « Cela dit, j’estime qu’il n’y a eu aucune erreur judiciaire en l’espèce. Le contre-interrogatoire qui a été autorisé et qui a effectivement eu lieu a permis à la défense de vérifier la preuve avec suffisamment de rigueur. »

Dans une opinion dissidente et commune, les juges Russell Brown et Malcolm Rowe ont qualifié de « très peu convaincante l’analyse que font les juges majoritaires de la transcription » des procédures. Selon eux, « R. V. a été privé de bien plus que de la simple possibilité de poser deux questions supplémentaires, ou d’entendre certaines réponses. Il a été privé d’un processus complet d’interrogatoire. Cette privation a eu des effets qui se sont répercutés sur tous les aspects de sa défense ».