L’homme qui pilotait l’hydravion d’Air Saguenay disparu au fond d’un lac du Labrador avait déjà subi un infarctus.

Gilles Morin, 66 ans, « a fait une crise cardiaque il y a quelques années », a révélé à La Presse le président de la petite compagnie aérienne, Jean Tremblay, qui pense que son ancien employé aurait pu avoir un nouveau malaise le 15 juillet, jour de l’écrasement.

Étant donné son dossier médical, « le doute nous vient à l’esprit », a-t-il expliqué au téléphone. « C’est un très grand lac, et il était déjà rendu. En considérant [sa grande] expérience et son absence de témérité, on s’explique mal comment l’accident a pu se produire [autrement]. »

Mais « ce n’est pas parce qu’on a fait une crise cardiaque qu’on ne peut plus travailler », ajoute-t-il, en précisant que Gilles Morin avait réussi son dernier examen médical et passait un électrocardiogramme tous les six mois.

Le site du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) confirme qu’un pilote peut voler après avoir subi un infarctus. À condition d’attendre six mois et de réussir chaque année des tests médicaux indiquant qu’il « court un faible risque d’accident cardiovasculaire important au cours des 12 mois suivants ».

Après un écrasement survenu en 2010, un médecin du BST a toutefois découvert que la maladie du pilote mort était « à un stade significativement plus avancé que ce qu’on avait prévu ». Le septuagénaire avait réussi sa dernière épreuve d’effort cardiaque sans difficulté. Pourtant, d’après l’autopsie, ses principales artères étaient obstruées à 90 %, « ce qui présentait un risque important », indique le rapport d’enquête du BST, publié en 2015.

« Si les épreuves de surveillance médicale ne permettent pas de détecter avec précision le stade avancé de coronaropathie, les pilotes présentent un risque accru d’être atteint d’une affection susceptible […] de blesser des personnes grièvement ou mortellement », conclut ce rapport.

Après un autre écrasement survenu la même année, près de Baie-Comeau, le BST n’a pu ni confirmer ni exclure qu’un problème médical en avait été la cause. Le pilote de 78 ans, qui revenait de son chalet, souffrait de cardiopathie, d’hypertension et de diabète, mais avait réussi ses examens médicaux.

Dure brousse

Grâce à deux sous-marins, les Forces armées canadiennes tenteront de repérer aujourd’hui le corps de Gilles Morin et ceux de deux touristes américains. Les cadavres des quatre autres passagers (deux Américains et deux guides de pêche) ont déjà été retrouvés au cours des derniers jours.

Si les dernières recherches sont fructueuses, « il y aura une autopsie, mais ce sera dur d’avoir la réponse », c’est-à-dire de savoir si l’état de santé de M. Morin a causé l’accident, dit M. Tremblay.

Chose certaine, face aux maladies, « le milieu de l’aviation est beaucoup plus flexible qu’il ne l’était », affirme Jean Lapointe, expert en aéronautique et pilote de ligne retraité.

La médecine a progressé, et les grandes sociétés aériennes font tout pour retenir leurs employés, puisqu’elles manquent de pilotes, explique-t-il. « On en voit voler avec un seul rein, un seul œil ou le diabète. »

Au Canada, c’est le bilan de santé et non l’âge qui peut mettre fin à une carrière, dit-il. Un pilote âgé pourra donc s’envoler à n’importe quel âge, pourvu qu’il réussisse ses examens médicaux annuels ou bisannuels, et « pourvu qu’il n’aille pas aux États-Unis », dit M. Lapointe.

Vieillissement

Les dernières années ont été difficiles pour Air Saguenay, qui possède une douzaine de bases aériennes et une quinzaine d’hydravions. La pénurie de pilotes rend la rétention de jeunes recrues très ardue. « Nos [pilotes] vieillissent. Pour certains, l’âge de la retraite approche », indique M. Tremblay.

La clientèle vieillit, elle aussi. Les routes ne cessent de gagner du terrain sur la forêt. Et l’interdiction de la chasse au caribou a fait perdre 35 % de ses revenus au transporteur de brousse, qui a obtenu un soutien du gouvernement pour se réorienter – en volant pour la Société de protection des forêts contre le feu, qui arrose les incendies, et le secteur minier.

« Notre mission principale reste d’amener les gens en camp de villégiature et en pourvoirie. » — Jean Tremblay

« Ce qui est arrivé est dramatique, ça ébranle sur le coup, mais aujourd’hui même, l’un de nos avions vient d’aller exactement au même endroit [qu’est allé Gilles Morin] », indique au téléphone le répartiteur Michel Pilon.

D’après son président, Air Saguenay fait environ 15 000 vols par années. L’entreprise a bonne réputation, dit l’expert Jean Lapointe, mais ses vols sont forcément ardus. « Dans la brousse, vous êtes en terrain inhospitalier, vous avez moins d’infrastructures et vous pouvez atterrir et décoller un nombre incalculable de fois dans une journée. »

Quatre autres écrasements

Au Québec, quatre autres écrasements d’aéronefs ont fait huit autres victimes au cours des dernières semaines. Cela représente autant d’accidents mortels que dans toute l’année 2017 (alors qu’il y en avait eu quatre) et deux fois plus qu’en 2018 (alors qu’il y en avait eu deux). Les statistiques du Bureau de la sécurité des transports du Canada démontrent que l’été est souvent le théâtre d’un plus grand nombre d’accidents. Certaines années, la moitié des accidents se sont produits durant cette période.

Proportion d’accidents d’aéronefs survenus de mai à juillet au Québec comparativement à l’année entière

2008 : 12 sur 58

2009 : 18 sur 68

2010 : 19 sur 65

2011 : 24 sur 58

2012 : 30 sur 71

2013 : 30 sur 66

2014 : 36 sur 69

2015 : 23 sur 51

2016 : 15 sur 34

2017 : 22 sur 44

2018 : 11 sur 31

Source : Bureau de la sécurité des transports du Canada

Nombre d’accidents mortels d’aéronefs au Québec

2008 : 5

2009 : 10

2010 : 10

2011 : 5

2012 : 10

2013 : 5

2014 : 2

2015 : 7

2016 : 7

2017 : 4

2018 : 2

Source : Bureau de la sécurité des transports du Canada