Daniel Vivas Ceron, accusé aux États-Unis d’avoir organisé l’exportation, chez nos voisins du Sud, d’importantes quantités de fentanyl alors qu’il était détenu au pénitencier de Drummondville, a plaidé coupable hier devant un tribunal à Fargo, au Dakota du Nord.

Ceron, 38 ans, est passible de la prison à vie. La peine sera toutefois imposée à une date ultérieure et les observateurs s’attendent à ce qu’elle soit réduite parce que Ceron a collaboré avec les autorités, plaidé coupable aux trois chefs de trafic de drogue et de recyclage des produits de la criminalité portés contre lui et a ainsi évité la tenue d’un procès qui devait débuter le 1er octobre prochain.

En plaidant coupable, Ceron a admis qu’entre 2013 et 2017, lui et d’autres complices, dont des fournisseurs chinois, avaient exporté des centaines de kilogrammes de fentanyl et d’autres drogues dures dans plusieurs États américains.

Des marchands de mort

À cette époque, Ceron était incarcéré au pénitencier de Drummondville et purgeait une peine de 19 ans pour tentative de meurtre et trafic de drogue. Il était parvenu à introduire un téléphone intelligent dans sa cellule et gérait les opérations avec l’aide de celui-ci, en utilisant des pseudos sur une application de communications cryptées et des adresses courriel numériques.

Selon la preuve amassée par la police américaine, la drogue envoyée aux États-Unis par Ceron et ses complices serait à l’origine d’une quinzaine de surdoses au Dakota du Nord, en Oregon, au New Jersey, en Caroline du Nord et au Rhode Island. Onze d’entre elles se sont soldées par des séquelles graves pour les victimes et quatre par la mort du consommateur, dont un jeune homme de 18 ans.

« L’accusé et ses complices ont mis sur pied une organisation qui a fait d’eux des marchands de mort régionaux, nationaux et internationaux, et la reconnaissance de culpabilité d’aujourd’hui est un pas important dans la quête de justice pour ceux qui sont morts ou ont été attirés par l’appât du gain », a déclaré, dans un communiqué, le procureur américain Drew H. Wrigley du district du Dakota du Nord.

Les policiers canadiens louangés

Les États-Unis sont aux prises avec une véritable crise du fentanyl. L’an dernier, cet opioïde synthétique, environ 40 fois plus puissant que l’héroïne, a fait 20 000 morts. 

Lorsque les policiers ont démantelé le réseau de Ceron en mai 2018, le procureur général des États-Unis, Jeff Sessions, a louangé les policiers de la Gendarmerie royale du Canada pour leur participation à l’enquête et nommé le sergent Jacques Théberge, spécialiste des drogues à la police fédérale.

« Mais cette enquête a été avant tout un travail d’équipe, pas seulement à la GRC mais aussi avec les policiers américains. Ce furent des années de travail », a confié le sergent Théberge à La Presse

Depuis 2014 que l’on enquêtait, et en démantelant complètement le réseau, on a sauvé des vies, c’est ce qui est important.

Jacques Théberge, enquêteur de la GRC

Les policiers de la GRC ont notamment saisi le téléphone de Ceron et analysé les données qu’il contenait, ce qui leur a permis de relier les distributeurs régionaux de fentanyl aux États-Unis et les exportateurs chinois, et de les identifier.

Ils ont également joué un rôle important dans l’arrestation de Ceron par les policiers américains.

Escale imprévue

Dans les documents judiciaires américains, on apprend comment cela s’est passé. Le 17 juillet 2015, Ceron, un citoyen colombien, devait être extradé en Colombie. Il est monté à bord d’un avion, flanqué de deux agents canadiens et entouré d’une centaine de touristes. Mais en plein vol, Ceron a appris que l’avion se poserait à l’aéroport international de Tocumen, au Panamá, pour faire le plein, avant de poursuivre sa route vers la Colombie.

Une fois l’avion au sol, tous les passagers sont sortis. Ceron est demeuré seul avec son escorte, puis un agent lui a dit que les policiers panaméens voulaient lui parler.

Daniel Vivas Ceron a alors été emmené dans une pièce où se trouvaient une douzaine de personnes, selon lui, dont des policiers panaméens armés de pistolets et de matraques.

En même temps, les policiers lui ont appris que sa mère, qui l’attendait à l’aéroport de Medellín, avait été interpellée par des policiers colombiens et que sa conjointe, qui habitait Montréal, avait été amenée au quartier général de la GRC.

Durant la rencontre entre Ceron et les policiers panaméens et américains, un extrait vidéo de la rencontre entre sa conjointe et les enquêteurs de la GRC lui a été acheminé.

Ceron a pu ensuite parler durant une quinzaine de minutes, en français, au téléphone avec sa conjointe. Il a ensuite déclaré qu’il avouerait tout, de crainte que ses proches ne soient maltraités, a-t-il dit.

Il est demeuré durant un an et demi dans une prison panaméenne avant d’être extradé aux États-Unis en janvier 2017. 

Devant des juges américains, il a tenté de faire déclarer illégale son arrestation et de faire exclure de la preuve ses aveux, en vain. Il a rédigé, à la main, une version de 200 pages de son histoire pour laquelle il a visiblement fait beaucoup de recherches, car il évoque plusieurs lois, chartes et conventions internationales. 

— Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse

Ceron en six temps

Une carrière dans la GRC ?

Daniel Vivas Ceron est arrivé à Montréal à la fin des années 80, en compagnie de sa mère et de son frère. Sa mère a décidé de quitter la Colombie et son mari, car ce dernier était tombé dans l’enfer de la drogue et était violent envers elle – il s’est plus tard suicidé. Le frère de Ceron est retourné en Colombie, où il a été tué en 1999. Ceron a voulu s’enrôler dans l’armée canadienne, mais a été refusé à cause de ses pieds plats. Il a ensuite songé à grossir les rangs de… la Gendarmerie royale du Canada.

Tentative de meurtre

En 2002, Ceron a été condamné au Québec à deux ans et sept mois d’emprisonnement pour trafic de cocaïne entre le Panamá et Montréal et à deux ans additionnels pour une affaire de voies de fait contre une femme. Plus tard, il a été condamné à 15 ans (qui se sont ajoutés à sa peine) pour sa participation à une tentative de meurtre durant laquelle les suspects, à bord d’une voiture en mouvement, ont tiré sur la victime.

Urine et moisissure

Après son arrestation au Panamá, en juillet 2015, Ceron a été envoyé dans un pavillon cellulaire où s’entassaient 150 détenus dans l’équivalent d’un six et demie. « C’était humide, les gouttes tombaient du plafond, il y avait de la lumière 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il n’y avait pas de ventilation, une odeur de sueur régnait, c’était infesté de punaises de lit et de coquerelles, il y avait de la moisissure sur les murs, qui étaient couverts de taches noires, les toilettes étaient brisées ou remplies de tas de matières fécales, il y avait de l’urine sur le plancher, un morceau de carton pour dormir était un luxe... », décrit-il.

Protection coûteuse

Tout coûte cher, dans les prisons du Panamá. « On m’a dit que si je voulais voir mes droits rétablis, cela me coûterait les six doigts, c’est le prix ici. Pour un étranger arrêté et accusé injustement, cela coûte plus de 10 000 US seulement pour vérifier la légalité de l’arrestation. Les prisons panaméennes sont dangereuses pour les détenus étrangers, qui doivent payer pour leur protection. J’étais prêt à tuer pour survivre. Un jeune Américain a été violé. La scène a été filmée, et la vidéo envoyée à sa mère pour qu’elle paie », raconte Ceron dans son témoignage de 230 pages.

Paralysé et fiévreux 

Ceron dit avoir été malade durant 8 mois sur les 18 qu’il a passés en détention au Panamá. « J’étais paralysé sur mon lit de fortune. Je faisais de la fièvre, j’avais la diarrhée, j’étais en sueur. Des gens ont demandé à des policiers de m’aider, mais ceux-ci ont réclamé 2000 $ pour que je puisse voir un médecin. L’eau n’était pas vraiment potable, elle contenait des coliformes. Parfois, il n’y avait pas d’eau durant trois semaines. On priait pour qu’il pleuve. Autour de moi, quatre détenus ont contracté le VIH. L’un d’eux est mort », poursuit le Colombien.

Repentant, sauf que...

Daniel Vivas Ceron dit être repentant, mais maintient du même souffle que son arrestation et son extradition étaient illégales. « Pour ceux et celles que j’ai blessés, je suis sincèrement désolé de tout le mal que j’ai causé. Peu importe qui et où vous êtes, j’espère que vous aurez la force de me pardonner. Je n’ai rien fait de vraiment positif dans la vie. Mais je suis prêt à continuer de me battre pour ceux que j’aime. Je veux retourner au Canada pour continuer mes poursuites contre les gouvernements. Ce qui s’est passé le 17 juillet 2015 ne doit jamais se reproduire », conclut-il. 

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse