(Gatineau) Le juge militaire en chef des Forces canadiennes a commencé lundi à subir son procès en cour martiale, où il est accusé de huit chefs d’accusation, dont deux de fraude.

Le procès du colonel Mario Dutil est non seulement sans précédent dans les annales canadiennes, compte tenu du grade de l’accusé, mais il constitue aussi un test pour le système judiciaire de l’armée.

M. Dutil, originaire de Québec, a été formellement accusé l’an dernier d’avoir eu une relation consensuelle, mais inappropriée, avec un subordonné, et d’avoir sciemment signé une demande de remboursement de frais de voyage de 927,60 $ qui contenait de faux renseignements.

Il fait face à deux chefs de fraude, deux chefs de fausse déclaration dans un document officiel, et quatre autres chefs de comportement « préjudiciable au bon ordre et à la discipline ».

Le juge militaire en chef adjoint, le lieutenant-colonel Louis-Vincent d’Auteuil, préside le procès en cour martiale, bien que l’avocat de la défense, Philippe-Luc Boutin, demande à ce que ce juge se récuse. Me Boutin a soutenu devant les journalistes, à l’extérieur de la salle d’audience, que le juge d’Auteuil « ne peut pas entendre l’affaire parce qu’il y est mêlé de trop près ».

« Non seulement il est au courant de certains des faits sous-jacents aux accusations, ce qui est en soi un problème, mais il connaît aussi la plupart des témoins de l’accusation — ils sont du même bureau — et il connaît très bien mon client — ils travaillent ensemble depuis de nombreuses années. »

Le colonel Dutil est apparemment le premier juge militaire en chef à être accusé alors qu’il est toujours en fonction. Compte tenu de la nature sans précédent de l’affaire, on ne savait pas exactement comment se passerait le procès en cour martiale, notamment si ce serait l’un des trois autres juges militaires supervisés par M. Dutil qui entendrait l’affaire contre un collègue — et de surcroît un officier supérieur. On a finalement confirmé en janvier que le procès serait présidé par le juge d’Auteuil, adjoint et subalterne de l’accusé.

C’est pourtant un procureur spécial qui avait été nommé pour examiner les résultats de l’enquête menée par la police militaire et recommander ou non le dépôt d’accusations contre le colonel Dutil.

Une liaison dangereuse

La police militaire avait amorcé son enquête en novembre 2015 après avoir reçu une plainte selon laquelle le colonel Dutil entretenait une relation inappropriée avec une personne subordonnée. Cette liaison, qui aurait duré de novembre 2014 à octobre 2015, n’était pas autorisée par les règles militaires.

Or, c’est au cours de son enquête sur cette relation inappropriée que la police militaire aurait découvert des preuves suggérant que M. Dutil avait sciemment signé, en septembre 2015, une demande de remboursement de frais de déplacement contenant de fausses informations.

Seul le cabinet fédéral peut nommer ou révoquer un juge militaire en chef ; depuis le dépôt des accusations, en janvier 2018, M. Dutil conserve son poste mais il ne siège pas.

Ce n’est pas la première fois que le colonel Dutil, qui assume ses fonctions actuelles depuis 2006, est accusé d’avoir violé les règles de l’armée en matière de relations personnelles. Un comité spécial de trois juges avait toutefois rejeté une plainte en avril 2016, au motif que sa conduite n’avait aucun impact sur ses fonctions de juge. La police militaire n’avait porté aucune accusation.

Les autorités militaires n’ont pas précisé si la nouvelle plainte concernait cette même liaison.

Une condamnation pour fraude entraîne une peine maximale de deux ans moins un jour d’incarcération, tandis qu’une fausse déclaration sur un document officiel entraîne une peine de trois ans moins un jour. La peine maximale pour comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline est la « destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ».