Le comportement du gouvernement canadien dans la lutte au changement climatique est « tellement clairement fautif » et « grossièrement négligent » que la seule façon d’y remédier est de le poursuivre en justice, a plaidé ENvironnement JEUnesse (ENJEU) devant la Cour supérieure du Québec.

Le tribunal entendait jeudi la demande de l’organisation, qui souhaite intenter une action collective contre l’État fédéral au nom de tous les Québécois de 35 ans et moins.

Me Bruce Johnston, l’un des avocats qui représentent ENJEU pro bono, a entamé sa plaidoirie en dressant un parallèle entre le « courage » des jeunes qui ont participé il y a 75 ans au débarquement de Normandie et celui des jeunes d’aujourd’hui, qui font face à un défi « plus dangereux et plus fondamental, car il met en cause l’avenir de notre habitat sur Terre ».

Le gouvernement reconnaît l’urgence d’agir pour contrer le changement climatique, « mais il ne le fait pas, sciemment », a déclaré Me Johnston au juge Gary Morrison, qui doit décider s’il autorise la tenue d’une action collective.

Le magistrat a rapidement questionné le procureur d’ENJEU sur la volonté de l’organisation d’intenter un recours contre un palier de gouvernement en particulier.

« Comment faire la distinction de responsabilité ? » a-t-il demandé, ce à quoi Me Johnston a répondu que le gouvernement fédéral lui-même allègue que la lutte au changement climatique est un problème national de compétence fédérale.

Le juge Morrison a également demandé pourquoi avoir déterminé un groupe d’âge de 35 ans et moins, ce à quoi le procureur d’ENJEU a répondu que ces jeunes porteront davantage que les autres « le poids de l’incurie du gouvernement actuel et des gouvernements précédents ».

Convenant que la « ligne » aurait pu être travée ailleurs, Me Johnston a soumis que la question que la Cour devait trancher était seulement de déterminer si ce groupe répond aux critères exigés pour exercer une action collective, ce qui est le cas à son avis.

Ottawa vante ses « mesures ambitieuses »

Les procureures du gouvernement fédéral ont quant à elles fait valoir qu’une action collective ne pouvait être autorisée.

« Il n’y a pas de faits pour soutenir ces allégations », a déclaré Me Ginette Gobeil, estimant par ailleurs que « la nature du groupe ne justifie pas l’emploi de ce véhicule procédural » et qu’ENJEU n’est de toute façon « pas représentative » des jeunes de 35 ans et moins.

« Je vous soumets que la Cour ne serait pas en mesure d’évaluer si l’ensemble des mesures [adoptées] permettront au gouvernement d’atteindre sa cible de 2030 », a-t-elle ajouté, pour souligner le caractère spéculatif de la demande.

Une action collective représenterait par ailleurs une menace à l’indépendance du pouvoir législatif, a aussi soutenu Me Gobeil, affirmant que la lutte au réchauffement climatique est une « question politique dans laquelle la Cour ne peut s’ingérer ».

Dans une fiche « questions et réponses » distribuée aux journalistes par une représentante du ministère de l’Environnement et du Changement climatique qui assistait à l’audience, mais qui n’était pas autorisée à s’exprimer, le gouvernement canadien vante ses « mesures ambitieuses » pour contrer le changement climatique.

« Il est plus approprié d’élaborer des politiques permettant de prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques que d’avoir recours aux tribunaux », peut-on également y lire.

ENJEU reproche à Ottawa d’avoir adopté une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) insuffisante pour éviter des changements climatiques dangereux et de ne même pas en faire assez pour atteindre cette cible.

À leur arrivée au pouvoir, les Libéraux de Justin Trudeau avaient repris l’engagement du gouvernement conservateur précédent de réduire les émissions canadiennes de 30 % sous le niveau de 2005, un objectif qu’ils avaient pourtant jugé insuffisant lors de la campagne électorale.

Le juge Gary Morrison a pris l’affaire en délibéré et rendra sa décision par écrit dans les prochains mois.