(Toronto) Les entreprises pharmaceutiques canadiennes se sont enrichies aux dépens de patients vulnérables en faisant la promotion illégale et trompeuse d’opioïdes qui entraînaient une forte dépendance — et qui ont tué des milliers de personnes ces dernières années —, soutient-on dans une demande d’action collective.

La demande, déposée mercredi devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, réclame plus de 1,1 milliard en dommages divers auprès d’une vingtaine de sociétés, y compris des grands noms comme Apotex, Bristol-Myers Squibb, Johnson and Johnson et le Groupe Jean Coutu. La Cour supérieure devra maintenant déterminer si l’action collective pourra aller de l’avant.

La poursuite, intentée au nom de patients devenus dépendants aux opioïdes sur ordonnance, vise également à obtenir une déclaration selon laquelle ces entreprises ont fait preuve de négligence dans la façon dont elles ont mené la recherche, le développement et la commercialisation des opioïdes à partir des années 1990.

« Les défendeurs savaient que quiconque s’injecterait des opioïdes risquerait fortement de devenir dépendant », affirme-t-on dans la demande d’instance. « Les défendeurs ont ainsi enfreint les obligations légales et de droit commun envers le demandeur et son groupe, qui sont devenus dépendants aux opioïdes, et (ces entreprises) leur doivent des dommages-intérêts. »

Le représentant de l’action collective est Darryl Gebien, un médecin de Toronto à qui on avait prescrit l’opioïde Percocet pour une blessure à un ligament du pouce, et qui a développé une forte dépendance. « La dépendance du Dr Gebien a eu un impact significatif et durable sur sa vie », lit-on dans la demande d’instance. « Le Dr Gebien a perdu son permis de pratiquer la médecine. Il a perdu son emploi. Il a été incarcéré. Il a perdu la garde de ses enfants. »

Les opioïdes sont de puissants narcotiques qui peuvent induire un effet addictif euphorique nécessitant des doses de plus en plus fortes afin de maintenir leur efficacité et éviter les symptômes de sevrage. À l’origine, ces médicaments n’étaient pas largement prescrits pour le traitement de la douleur, à cause des risques de dépendance, mais cette approche a changé au milieu des années 1990.

« Les défendeurs ont fait valoir que les opioïdes étaient sûrs, efficaces et appropriés pour une utilisation à long terme dans des états douloureux courants », selon la demande d’instance. « Les efforts de marketing musclés des défendeurs ont été incroyablement fructueux. »

Aucune déclaration de défense n’a été déposée et les allégations n’ont encore été examinées par aucun tribunal. La société Purdue Pharma a déjà soutenu qu’elle avait commercialisé ses produits conformément aux règles en vigueur.

4000 morts par année au Canada

L’abus d’opioïdes est devenu une véritable crise de santé publique, avec des surdoses mortelles qui se sont transformées en épidémie en Amérique du Nord. Ces opioïdes ont tué plus de 20 000 Canadiens au cours des 20 dernières années, et de nos jours, environ 4000 nouveaux décès sont recensés chaque année au Canada. Les opioïdes font plus de morts que les accidents de la route aux États-Unis.

L’avocat Kirk Baert estime qu’il était « grandement temps » que « ces entreprises soient tenues responsables des torts qu’elles ont causés à des milliers de Canadiens ».

Les défendeurs cités dans la demande d’action collective fabriquent, commercialisent, distribuent et vendent des opioïdes au Canada. Certains médicaments, comme le fentanyl, l’oxycodone et le tramadol, sont maintenant connus surtout à cause des ravages qu’ils ont causés.

La demande introductive allègue que les pharmaceutiques se sont livrées à une entreprise de commercialisation « fausse et trompeuse » en indiquant notamment aux patients que l’utilisation d’opioïdes pour le soulagement de la douleur améliorerait leur qualité de vie sans aucun effet indésirable, comme des problèmes de dépendance ou de sevrage.

« Les défendeurs savaient — ou auraient dû savoir — que leurs allégations concernant les risques et les avantages des opioïdes n’étaient pas étayées par des preuves scientifiques — ou qu’elles étaient contraires à ces preuves », affirme-t-on. « (Ils) ont conseillé aux professionnels de la santé d’ignorer les signes de dépendance, sur la base d’un état, non fondé, qu’ils ont appelé “pseudo-dépendance”. »

Le gouvernement de la Colombie-Britannique, qui avait déclaré en 2016 une urgence de santé publique, a également intenté l’an dernier une action collective contre 40 entreprises afin de récupérer les coûts des soins de santé associés à la dépendance aux opioïdes. D’autres provinces ont également envisagé de prendre de telles mesures.

Ce mois-ci, le fabricant de l’OxyContin aux États-Unis a fait l’objet d’une autre poursuite intentée par un État américain. On allègue que l’entreprise a continué à vanter son analgésique auprès des médecins même lorsque des représentants commerciaux se sont inquiétés des risques d’une prescription inappropriée. Ce procès intenté au Connecticut contre Purdue Pharma, qui a menacé d’une faillite éventuelle, a fait de la Pennsylvanie le 39e État américain à poursuivre cette société.