Il a tenté successivement de la menacer et de l’acheter, pour qu’elle n’aille jamais témoigner en cour. Mais il n’a fait que renforcer sa détermination à obtenir justice. Un proxénète de bonne famille vient d’écoper de sept ans de pénitencier, grâce au témoignage percutant d’une jeune fille qui a révélé ses pratiques « proches de l’esclavagisme ».

« C’est une peine qui va faire réfléchir les proxénètes et démontrer aux victimes qu’on prend la chose au sérieux, qu’on s’occupe d’elles, et que quand il y a tentative d’entrave à la justice, on enquête à fond et on arrête les gars », a martelé le procureur de la Couronne, Me Martin Joly, après le prononcé de la peine.

L’accusé dans cette affaire, Harald Rwasamanzi, n’est pas tombé dans le crime par nécessité. Né au Congo, cadet d’une famille de six enfants, fils d’un docteur en économie de renom qui s’était toujours assuré qu’il ne manque de rien, il avait grandi au Québec sans jamais avoir de problèmes avec la loi. Bons résultats scolaires, emploi étudiant stable, participation à des compétitions internationales d’escrime : tout allait bien pour lui, selon la preuve présentée à son procès.

Ses frères et sœurs avaient tous fait des études universitaires. Lui-même avait terminé ses études collégiales et se préparait à entrer à l’université.

Criminalité « abjecte »

Mais à l’aube de la vingtaine, lorsque ses parents sont repartis vivre en Afrique en le laissant ici temporairement pour poursuivre son parcours scolaire, la trajectoire de Harald Rwasamanzi a bifurqué.

« Dû à des mauvaises fréquentations, il a graduellement délaissé ses études et s’est enfoncé dans l’une des plus abjectes formes de criminalité, à savoir l’exploitation sexuelle de jeunes femmes pour son propre profit. » — Le juge Pierre E. Labelle, dans son jugement

Rwasamanzi n’a trempé dans cette sphère d’activités que quelques mois, en 2017. C’était assez pour faire beaucoup de dommages aux jeunes femmes qu’il emmenait à Toronto afin de les faire travailler.

Une première victime, qui était alors âgée de 20 ans, a raconté à la police comment le proxénète l’avait confinée dans un appartement de la Ville Reine alors qu’il publiait des annonces sur l’internet pour lui trouver des clients. « Elle ne peut sortir de celui-ci et doit faire de l’argent avant de manger », résume le juge Labelle au sujet de cet épisode.

Rwasamanzi l’a battue à coups de poing, lui a tiré les cheveux et lui a volé une partie de son argent. La victime, terrorisée, craignant des représailles contre sa famille, n’a pas voulu témoigner devant le tribunal.

Rythme infernal

Une deuxième victime, tombée sous l’emprise du proxénète alors qu’elle n’avait que 18 ans, a relaté de son côté ses 90 jours cauchemardesques passés à travailler pour lui à Toronto. Elle avait averti Rwasamanzi qu’elle refusait d’offrir certains services sexuels précis, mais celui-ci disait le contraire lorsqu’il négociait avec les clients, qui s’attendaient donc à ce qu’elle se plie à toutes leurs volontés.

« C’est donc elle qui doit gérer la frustration et la violence des clients lorsqu’ils apprennent la vérité », résume le juge, en ajoutant que le proxénète n’était même pas sur place pour protéger la jeune fille si un client devenait agressif.

« Le rythme de travail est infernal, puisque selon le délinquant, il faut faire le plus d’argent possible. Elle travaille jusqu’à en avoir mal physiquement, mais ce qui n’empêche pas qu’il y a toujours des clients. »

La victime estime que le proxénète a gardé les 90 000 $ qu’elle a pu récolter en travaillant 90 jours à Toronto. Un jour, en présence d’un témoin, il s’est fâché et lui a administré une violente fessée pour la punir, en filmant le tout. Le juge a visionné les images à la demande de la victime et constaté qu’il s’agissait « d’une scène des plus dégradantes ».

Ils voulaient la faire taire

À l’approche de son témoignage au procès de Rwasamanzi l’an dernier, la jeune femme a été contactée par un inconnu qui l’a menacée de violences si elle se présentait en cour. Elle a immédiatement appelé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui a mis en place une opération d’infiltration pour piéger les intimidateurs.

Une policière s’est fait passer pour la cousine de la victime et a pris contact avec l’homme qui avait proféré les menaces. De fil en aiguille, elle a pu parler avec un certain Tarik Khenoussi, qui a confirmé agir au nom de Rwasamanzi, lequel était détenu pour la durée des procédures judiciaires.

Khenoussi a incité la victime à ne pas se présenter en cour, ou à prétexter des problèmes de mémoire, afin de faire tomber les accusations contre Rwasamanzi. Il a dit qu’il serait gentil avec la victime si elle obtempérait, et qu’il pourrait lui payer une soirée.

Il ignorait qu’il venait de s’incriminer auprès du SPVM, qui a déployé des ressources considérables ces dernières années pour traquer les hommes qui tentent d’intimider les femmes victimes d’exploitation sexuelle avant leur témoignage en cour. Plusieurs arrestations ont eu lieu pour des cas semblables.

Khenoussi a donc été arrêté à son tour et Rwasamanzi a vu s’ajouter de nouvelles accusations d’entrave à la justice à son dossier.

« Incidemment, cette menace envers la victime n’a que solidifié sa détermination de se rendre jusqu’au bout et de témoigner », relate le juge dans son jugement. La jeune femme a expliqué souffrir d’un choc post-traumatique, de cauchemars et de crises de panique à la suite des expériences qu’elle a vécues dans le monde de la prostitution. Elle a témoigné des répercussions sur sa vie de couple et sur sa capacité à faire confiance aux gens.

Courageuse et forte

« Il est nécessaire de souligner le courage et la force de cette jeune femme et les profondes blessures qu’elle a subies par la conduite du délinquant », ajoute le magistrat, impressionné par le témoignage de la victime.

Le juge a imposé au proxénète une peine de sept ans de prison, dont deux ans pour la tentative d’entrave à la justice.

« Tenter de faire taire un témoin, c’est de s’attaquer au fondement même de notre système de justice », écrit le magistrat.

Quant à l’attitude de l’accusé envers les femmes, le juge la considère comme « abjecte, répugnante et parasitaire ».

« Les proxénètes exercent un contrôle dans la vie de leurs proies, en les isolant et les faisant travailler dans des conditions qui s’approchent de l’esclavagisme sexuel, tout ça afin de pouvoir se payer un rythme de vie luxueux sans pour autant avoir à faire quoi que ce soit », dit-il.

La preuve entendue aux plaidoiries sur la peine révèle que Rwasamanzi croyait qu’il serait respecté et craint en prison, grâce à son statut de proxénète. Une fois derrière les barreaux, il a déchanté, constatant qu’il était plutôt méprisé par les autres détenus.