Le nombre de personnes qui écopent d'accusations d'agression sexuelle de la part du Directeur des poursuites criminelles et pénales est en forte hausse depuis quatre ans : l'augmentation, montrent des chiffres obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, se chiffre à près de 50 %.

Entre 2010 et 2014, le nombre de personnes accusées d'agression sexuelle était relativement stable et tournait autour de 1000 par an. En 2015 s'amorce une tendance à la hausse du nombre d'accusations de cette nature, tendance qui s'est maintenue de façon constante depuis trois ans.

En 2015, 1325 personnes ont ainsi été accusées d'agression sexuelle, en 2016, 1394, et en 2017, 1489. Le record absolu est atteint en 2018, avec à ce jour 1575 accusations, une hausse de plus de 50 % par rapport aux chiffres de 2014.

Le DPCP constate lui aussi cette augmentation, mais n'est cependant pas en mesure de l'expliquer. « Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) constate la hausse du nombre de personnes accusées selon l'article 271 du Code criminel. Par contre, ce n'est pas le rôle du DPCP de procéder à l'analyse des causes de celle-ci. Le DPCP accomplit sa mission de poursuite publique à l'abri de toutes considérations liées au nombre d'accusations portées par type de crimes prévus au Code criminel. »

Ce sont surtout les agressions sexuelles les plus graves qui sont en hausse, où les personnes sont accusées d'avoir commis un acte criminel, passible de dix ans de prison au maximum. Depuis 2014, le nombre d'accusations de ce type est passé de 833 à 1240. Le nombre d'infractions punissables par voie sommaire, passibles de huit mois de prison au maximum, est passé de 175 à 335.

L'enjeu des agressions sexuelles s'est retrouvé sous les projecteurs à de nombreuses reprises depuis 2014. Cette année-là, le populaire animateur de la CBC Jian Ghomeshi était contraint de quitter son poste à la radio, accusé par plusieurs femmes de les avoir brutalisées lors de relations sexuelles. Il a par la suite été acquitté de quatre accusations lors d'un procès.

Six mois après que l'affaire Ghomeshi eut éclaté sur la place publique, un mot-clic provoquait une première tourmente sur le web. Sous le vocable #agressionnondenoncee, des milliers de femmes racontaient les agressions de nature sexuelles dont elles avaient été victimes.

Puis, en 2017, dans la foulée des accusations dont fait l'objet le producteur hollywoodien Harvey Weinstein, une nouvelle tornade déferle sur les réseaux sociaux, avec le mot-clic #moiaussi. Au Québec, le producteur Gilbert Rozon et l'animateur Éric Salvail ont tous deux fait l'objet de nombreuses accusations d'inconduite sexuelle dans ce contexte. Toutefois, plus d'un an après, les deux hommes ne font encore l'objet d'aucune accusation.

Il est établi que ces vagues de dénonciations successives ont entraîné une hausse marquée des plaintes déposées à la police pour agression sexuelle. En 2014, le nombre de plaintes reçues par le Service de police de la Ville de Montréal se chiffrait à 1110. Ce nombre avait bondi à 1828 plaintes quatre ans plus tard. « En matière d'agressions, pour toutes sortes de raisons, les victimes ne voient pas nécessairement qu'il y a matière à dénonciation. Mais quand on a un exemple sous les yeux et qu'on associe ce qu'on a vécu à cet exemple, on dirait qu'il y a une prise de conscience, une petite barrière qui saute », soulignait en mai dernier à La Presse la juriste Rachel Chagnon, qui oeuvre au département de sciences juridiques de l'UQAM.

- Avec William Leclerc, La Presse