Stéfanie Trudeau, mieux connue par son numéro de matricule - 728 -, n'en a pas encore fini avec la vidéo qui l'a rendue célèbre, où on la voit asperger des manifestants de gaz poivre lors du soulèvement étudiant du printemps 2012 : l'ex-agente du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) comparaissait hier devant le Comité de déontologie policière pour défendre son comportement lors de cet événement.

Déjà sanctionnée pour plusieurs infractions déontologiques, et même reconnue coupable de voies de fait en cour criminelle pour une arrestation musclée, aussi survenue en 2012, la policière clame toujours qu'elle « faisait juste [sa] job » lors de ses diverses interventions controversées.

« C'est cette vidéo-là qui a tout commencé et qui a causé ma perte. Les gens disent que je suis un monstre, que je suis la pire police de Montréal », a-t-elle déploré, en marge de sa comparution, pour répondre à trois chefs d'accusation de n'avoir pas utilisé une pièce d'équipement (le gaz poivre en aérosol) avec prudence et discernement.

« C'est facile de porter plainte quand t'es assis dans ton salon et que tu vois un bout de vidéo. Mais la vidéo ne montre pas tout ce qui s'est passé avant, elle ne montre pas tout le contexte. »

Invalidité

Stéfanie Trudeau, 45 ans, a pris sa retraite du SPVM en 2015, après 20 ans de service, en raison des séquelles psychologiques héritées des épisodes très médiatisés de 2012 et des démêlés qui ont suivi avec la justice et le Comité de déontologie. Ces séquelles sont considérées comme une cause d'invalidité professionnelle, ce qui lui permet de toucher sa pleine pension.

« Juste me remettre de tout ça, ça a pris tout mon petit change », confie-t-elle.

Même si elle a remis son arme, l'ex-policière est toujours hantée par les gestes faits quand elle était en service.

« J'ai un casier judiciaire, je ne peux plus voyager, c'est difficile de me trouver un autre job. Dans n'importe quel milieu, les gens savent qui je suis. Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je vis avec ça depuis six ans. »

- Stéfanie Trudeau

Si elle est reconnue coupable devant le Comité de déontologie, les sanctions qu'elle pourrait subir sont bien théoriques : il pourrait s'agir de suspensions, mais comme elle n'est plus policière, il n'y aurait aucune conséquence réelle.

Stéfanie Trudeau estime donc qu'il s'agit de « procédures abusives ». Mais « pour une question de principe, je vais me battre », affirme-t-elle.

Foule « agressive »

Hier, lors de la première des quatre journées d'audiences prévues, des collègues de la policière sont venus témoigner de l'ambiance « électrique » qui régnait dans la soirée du 20 mai 2012 dans les rues du centre-ville. Ils ont décrit une foule « agressive » et même « hostile » envers les policiers, qui se sont fait lancer des projectiles.

L'agent Augustin Bernard, qui était ce soir-là le supérieur immédiat de Stéfanie Trudeau, a expliqué qu'il craignait pour la sécurité des agents, parce que des manifestants se trouvaient derrière la ligne qu'ils avaient formée pour bloquer la rue Sainte-Catherine. C'est lui qui a donné à la policière l'ordre de disperser un petit groupe qui refusait de s'éloigner, a-t-il précisé.

La fameuse vidéo de l'altercation entre l'agente au matricule 728 et ces manifestants a été montrée plusieurs fois dans la salle d'audience. Un autre policier du SPVM, l'agent Louis Héroux, a témoigné avoir été incommodé par le gaz poivre utilisé par sa collègue, en plus d'affirmer qu'il n'avait pas senti, contrairement à son confrère, de menace pour les forces de l'ordre à ce moment de la soirée.

Poursuivie au criminel pour une arrestation musclée dans un appartement de l'avenue Papineau en octobre 2012, Stéfanie Trudeau a été reconnue coupable de voies de fait et condamnée à 60 heures de travaux communautaires, 12 mois de probation et une suramende de 100 $ en août 2017. Elle a cependant été autorisée en mars dernier à faire appel de cette condamnation. La date de son audition devant la Cour d'appel n'a pas été déterminée.

UNE CARRIÈRE PARSEMÉE DE CONTROVERSES

Janvier 2000

Le Comité de déontologie policière rejette une plainte contre Stéfanie Trudeau pour manque de respect, propos injurieux fondés sur la couleur et avoir utilisé une force plus grande que nécessaire.

Octobre 2001

Condamnation en déontologie policière pour son attitude agressive lors d'une intervention à l'hôpital Sainte-Justine, en juillet 1996, et pour ne pas avoir préservé la confidentialité d'un dossier dans une affaire de viol sur mineure. Sanction : suspension de six jours.

Mai 2004

Des plaintes pour manque de respect et abus d'autorité retenues par le commissaire à la déontologie sont finalement abandonnées parce que la plaignante a quitté le Canada.

20 mai 2012 - 2 h

Arrestation de Julian Menezes, qui est intervenu en voyant un cycliste se faire arrêter par l'agente Trudeau et un collègue. L'homme est victime d'insultes racistes et subit des blessures alors qu'il est menotté à l'arrière de la voiture de patrouille, sans être attaché, tandis que la policière conduit de façon agressive.

20 mai 2012 - 21 h

Une vidéo montrant Stéfanie Trudeau asperger de poivre de Cayenne des manifestants devient virale sur le web et projette la policière sur la scène publique.

2 octobre 2012

Intervention musclée sur l'avenue Papineau, qui se solde par trois arrestations et un constat d'infraction. Radio-Canada diffuse quelques jours plus tard une vidéo des gestes de Stéfanie Trudeau ainsi qu'un enregistrement des paroles de la policière après les faits.

11 octobre 2012

L'agente est suspendue avec solde. Le SPVM amorce une enquête interne au sujet de l'incident de l'avenue Papineau.

21 mars 2014

Une accusation de voies de fait simples est déposée contre Stéfanie Trudeau.

Septembre 2015

Dans la foulée de la parution de son livre Matricule 728 - Servir et se faire salir : mon histoire, Stéfanie Trudeau annonce qu'elle quitte le SPVM.

25 février 2016

Verdict de culpabilité pour voies de fait. La sentence : 60 heures de travaux communautaires, 12 mois de probation et une suramende de 100 $.

10 octobre 2017

Reconnue coupable de cinq infractions au code de déontologie pour le traitement imposé à Julian Menezes.

30 avril 2018

Condamnée en déontologie policière à 16 mois d'inhabilité pour ses gestes lors de l'arrestation de Julian Menezes.