Cauchemar par-dessus cauchemar. Benoit Babin et Lisa Gauthier croyaient avoir trouvé le nid parfait pour leur retraite, en 2008, quand des voisins ont débarqué en leur expliquant que leur maison était en fait une partie commune de leur propre condo.

La faute au notaire chargé de la vente, qui a rapidement avoué son erreur.

Problème réglé ? C'était sans compter sur le fonds d'assurance pourtant créé pour protéger le public contre de telles situations et qui a fait durer le cauchemar pendant des années, selon la justice.

Le Fonds d'assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires, le filet de sécurité « à but non lucratif » de la profession, a abusé de ses droits en s'acharnant dans un dossier simple où il aurait simplement dû couvrir les dommages, a tranché la Cour supérieure début novembre.

« Ils ont étiré la sauce pendant 10 ans », a dénoncé M. Babin en entrevue avec La Presse. « C'est pénible sur bien des plans. »

M. Babin et Mme Gauthier avaient acheté le bureau de vente d'un complexe de condos de Magog afin de le transformer en résidence. Ils ne savaient toutefois pas que le contrat de vente des acheteurs des condos en question considérait le bâtiment comme une aire commune du complexe.

Ils ont réalisé que le notaire Jean-Philippe Gérin (qui avait officialisé leur achat) avait commis une erreur majeure lorsque la Ville de Magog leur a refusé un permis de rénovation et les a menacés d'expulsion parce que le bâtiment était strictement à usage commercial. Une voisine est aussi venue leur indiquer que sur le plan légal, elle avait accès à leur maison.

« C'était rendu qu'ils voulaient en faire une salle de réunion, une salle de billard ou une salle de jeu. Après, ils ont parlé de mettre des cabanons sur le terrain, ils venaient jouer dans mes plates-bandes, ils coupaient des arbres », a relaté Mme Gauthier, exaspérée. Il y avait « du monde sur notre terrain en train de se faire bronzer, de laver leurs voitures ».

« SE SOUSTRAIRE À SON OBLIGATION »

Plutôt que de les indemniser et de fermer le dossier, le Fonds d'assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec a fait traîner en longueur les procédures en abusant de ses droits d'utiliser le système de justice, a tranché la juge Johanne Brodeur. La magistrate a annulé la vente et condamné l'assureur à verser près de 400 000 $ au couple.

De cette somme, 50 000 $ représentent des dommages punitifs, liés strictement aux abus du Fonds d'assurance et visant à « dissuader, dénoncer et prévenir » un tel comportement.

« Ce dossier aurait pu être réglé promptement. La faute fut rapidement admise, les dommages pouvaient aisément être déterminés et le lien de causalité était clair. »

- La juge Johanne Brodeur dans sa décision

« Pourtant, l'assureur tente toujours, plus de 10 ans après que l'erreur fut commise, de se soustraire à son obligation d'indemnisation », poursuit la juge.

Sa décision cite un courriel de l'avocate du Fonds qui explique avoir reçu l'instruction « d'invoquer tous les moyens de défense à [sa] disposition ».

En entrevue, Lisa Gauthier qualifie son expérience avec le Fonds de « frustrante ». « Parfois on perd confiance en la justice quand on a vu ce qu'on a vu avec des hommes de loi au cours des 10 dernières années », a-t-elle ajouté.

La loi oblige les professionnels comme les avocats, les architectes ou les notaires à se doter d'une assurance responsabilité afin de protéger le public contre leurs erreurs éventuelles. La Chambre des notaires a choisi de créer son propre fonds d'assurance à cette fin.

« Ainsi, le client d'un notaire est assuré de faire affaire avec un professionnel qui peut faire face aux conséquences financières que pourraient entraîner ses fautes professionnelles », explique le Fonds sur son site internet.

Contactée par La Presse, la directrice générale du Fonds, Sophie Ducharme, n'a pas voulu commenter la décision. Elle s'est limitée à dire que l'organisation étudiait « très, très, très sérieusement » la possibilité d'en appeler.

Sans s'exprimer spécifiquement sur la décision, Mme Ducharme a indiqué que la mission du Fonds était « d'abord la protection des assurés, mais aussi accessoirement la protection du public ».

PHOTO FOURNIE PAR Spectre Média

Le complexe de condos de la place des Jardins, à Magog.