Une cinquantaine d'allégations criminelles ciblant des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont été soumises au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), révèle le rapport de mi-mandat du chef intérimaire Martin Prud'homme. Le document concluant que Philippe Pichet n'a pas su corriger le tir alors qu'il était directeur, celui-ci devra s'expliquer devant des élus montréalais dans ce qui pourrait déboucher sur sa destitution.

ALLÉGATIONS JAMAIS SIGNALÉES

Six mois après avoir pris la barre du SPVM pour un intérim d'un an, Martin Prud'homme vient de remettre un rapport préliminaire au ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux. Un long passage du document de 48 pages s'attarde aux problèmes de la division des affaires internes. On y apprend qu'« entre 2010 et 2017, ce sont plusieurs dizaines d'allégations criminelles contre des policiers du Service qui n'ont jamais été rapportées au ministère de la Sécurité publique ». En fait, depuis que l'Équipe mixte d'enquête a pris en charge les allégations criminelles, « une cinquantaine de dossiers [ont été soumises] au Directeur des poursuites criminelles et pénales en consultation pour apprécier le contenu de la plainte et juger la nécessité d'effectuer une enquête criminelle ».

CHANGEMENTS AUX AFFAIRES INTERNES

Pour éviter que des allégations restent désormais lettre morte, Martin Prud'homme dit qu'il est en train de revoir les pratiques à la division des affaires internes du SPVM. Parmi les changements apportés, toute allégation criminelle visant un policier devra dorénavant être soumise au DPCP pour analyse. Elle devra aussi systématiquement être signalée au ministre de la Sécurité publique. Dans son analyse des problèmes ayant touché les affaires internes, Martin Prud'homme a noté beaucoup de mouvements de personnel. Ce service, dont la structure prévoit 14 postes d'enquêteur, a vu pas moins de 62 policiers différents s'y succéder de 2010 à 2017. Ces fréquents changements ne permettent pas d'acquérir une expertise ni d'assurer la continuité dans le service, constate le chef intérimaire.

COMITÉ DE DISCIPLINE REVU

Dans son rapport, le chef intérimaire du SPVM manifeste aussi des préoccupations sur le règlement de discipline interne. S'il a été modifié en septembre 2015, les changements lui paraissent « assez superficiels ». En fait, M. Prud'homme estime que « la procédure disciplinaire n'a pas fait l'objet d'une révision en profondeur depuis 1990 ». Il propose deux solutions. D'abord, il souhaite mettre en place un mécanisme de conciliation. Ensuite, il suggère de revoir la composition du comité de discipline pour permettre d'intégrer des membres de l'extérieur du SPVM, ce qui est actuellement interdit. En attendant ce changement, M. Prud'homme a indiqué qu'il entendait se prévaloir de son pouvoir de révision dans toutes les affaires concernant les cadres policiers et au besoin pour les policiers syndiqués. Il compte ainsi se faire accompagner de conseillers-experts pour rendre une décision finale.

PICHET EN A FAIT TROP PEU

Le rapport ne recommande pas noir sur blanc la destitution de Philippe Pichet, mais Martin Prud'homme conclut que celui-ci n'a pas pris les mesures appropriées pour assainir le SPVM lorsqu'il dirigeait le corps policier. « Malgré la connaissance des problématiques liées à la division des affaires internes, peu de changements d'importance avaient été faits pour régulariser la situation et assurer une saine gestion de cette unité », peut-on lire. Martin Prud'homme déplore également l'absence d'action pour améliorer le climat de travail au sein du corps policier alors que le problème avait été clairement ciblé. « Ce retard à prendre concrètement la situation en main a laissé des traces dans l'organisation », estime-t-il. Il faudra du temps pour rétablir la situation, ajoute-t-il.

BAROMÈTRE RÉVÉLATEUR

Signe du climat qui régnait au SPVM, Martin Prud'homme dit avoir reçu dans une boîte de courriel sécurisée pas moins de 275 messages et suggestions de la part de policiers. Le rapport note qu'une initiative similaire avait été lancée sous Philippe Pichet, mais qu'un seul message avait été reçu en trois mois. « Pour nous, cette boîte est en quelque sorte un baromètre qui nous permet d'évaluer le niveau de confiance des membres envers l'actuelle administration », peut-on lire. Ces messages reflètent aussi le manque de confiance envers l'ancienne direction. De nombreuses personnes ont manifesté leur crainte de représailles et plusieurs policiers ont demandé à « être rencontrés à l'extérieur du quartier général de peur d'être reconnus ». « Le degré de confiance envers l'ancienne direction nous est apparu préoccupant », note le rapport.

PICHET CONVOQUÉ

Constatant que les conclusions sur la direction du SPVM sont « préoccupantes », Martin Coiteux a demandé à la mairesse Valérie Plante « d'obtenir l'avis du conseil municipal ainsi que de la Commission de la sécurité publique quant à la situation de M. Pichet ». Réaffecté à la supervision des agents de sécurité de Montréal depuis sa suspension, Philippe Pichet sera convoqué par la Commission de la sécurité publique pour être entendu. Ce groupe d'élus formulera une recommandation, qui sera ensuite votée par l'ensemble du conseil municipal. C'est toutefois Martin Coiteux qui aura le mot final sur la possible destitution du chef de police. « Notre objectif est, et demeurera, de nous assurer que les Montréalais et les Montréalaises aient une pleine confiance envers leur service de police », a déclaré par courriel Valérie Plante.

- Avec Denis Lessard, La Presse