Une résidante de LaSalle est soupçonnée d'avoir volé au moins 2,5 millions en menaçant de petites entreprises.

Où que vous soyez au Canada, si vous avez reçu un appel intimidant au sujet d'une facture de publicité web en souffrance qu'il fallait payer immédiatement, alors que vous n'aviez pourtant rien demandé, vous avez probablement eu affaire à Sonia Abbruzzo.

« C'est quelqu'un qui aime beaucoup parler au téléphone », résume le gendarme Simon-Pierre Sauvé, responsable de l'enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d'un océan à l'autre sur les activités de la résidante de l'arrondissement de LaSalle, accusée d'avoir volé au moins 2,5 millions à de petites entreprises familiales canadiennes grâce à ses innombrables appels frauduleux.

Quatorze chefs d'accusations criminelles viennent d'être déposés à Montréal contre la mère de famille de 41 ans. Le Centre opérationnel de lutte contre le télémarketing frauduleux de la GRC était sur ses traces depuis 2014. À l'époque, des dizaines de plaintes provenant de partout au pays avaient alerté les enquêteurs. Une enquête a été ouverte : le projet Clôture.

LA MÊME MENACE QUI REVIENT

Le stratagème observé était simple, mais il nécessitait beaucoup d'effronterie : une femme prenait contact avec des entreprises en se faisant passer pour une avocate ou une agence de recouvrement. Elle prétendait que l'entreprise avait signé une entente pour acheter de la publicité sur l'internet, des années auparavant, mais qu'elle n'avait jamais payé la facture. Il fallait maintenant régler la note d'urgence, pour éviter « de sévères répercussions légales ».

« La même menace revenait envers presque toutes les victimes », a expliqué le gendarme Sauvé, en entrevue avec La Presse.

En fait, « les victimes n'ont jamais demandé et jamais reçu cette publicité », affirme la GRC dans un résumé d'enquête déposé au palais de justice.

Certains gestionnaires tombaient dans le panneau même s'ils ne se souvenaient pas d'avoir acheté des services publicitaires. Peut-être qu'un de leurs employés ou de leurs anciens collègues avait acheté de la publicité sans en parler ? Peut-être que la facture avait été égarée parmi la paperasse de l'entreprise ? Certains redoutaient un coûteux procès au résultat incertain, avec toutes les complications que cela implique.

« Les gens finissent par se dire qu'ils doivent payer, sinon ils vont être dans le trouble. Dans leur tête, ils doivent cet argent. Tout le monde utilise internet pour afficher sa compagnie aujourd'hui, alors ça devient réaliste. »

- Le gendarme Simon-Pierre Sauvé

Les suspects envoyaient aux victimes de fausses factures plutôt bien faites, à l'allure professionnelle, avec des numéros de TPS et de TVQ. Et ils mettaient beaucoup de pression, allant jusqu'à prétendre que leurs interlocuteurs seraient arrêtés par la police s'ils ne payaient pas, selon les témoignages recueillis par la GRC.

ESCROQUÉE DE 2 MILLIONS

L'une des victimes, propriétaire d'une entreprise agricole familiale au Manitoba, a envoyé plus de 2 millions de dollars pour acheter la paix avec les faux créanciers. L'intensité des menaces a augmenté lorsque la dame a décrété qu'elle ne voulait pas payer davantage.

« Les individus sont devenus plus agressifs, jusqu'au point de faire des menaces de mort », précise le document judiciaire de la GRC.

Avant de trouver des victimes qui mordaient à l'hameçon, la fausse avocate et ses complices devaient évidemment frapper à beaucoup de portes. « C'est sûr qu'ils se font refuser par la majorité des personnes. Mais on remarque qu'ils ont fait beaucoup d'appels à travers le Canada, un gros volume », remarque le gendarme Sauvé.

Les policiers ont amassé des preuves de fraude envers une dizaine de personnes ou d'entreprises à ce jour, mais ils sont persuadés que le nombre de victimes est beaucoup plus élevé.

« C'est certain qu'il y a plus de victimes. Nous avons communiqué avec beaucoup de gens qui refusaient de parler. »

- Le gendarme Simon-Pierre Sauvé

« Soit ils étaient gênés, ou ils refusaient parce qu'on les contactait par téléphone de Montréal, et c'est comme ça qu'ils avaient été approchés au départ », explique l'enquêteur.

La Presse a constaté la même réticence en tentant de recueillir des témoignages d'entrepreneurs floués. Aucun n'a voulu parler. « Nous ne parlons pas au téléphone », a répondu une dirigeante d'une entreprise manufacturière d'Etobicoke, en Ontario, qui a été détroussée de 256 000 $.

PERQUISITION FRUCTUEUSE

Pendant son enquête, la GRC a vite réalisé qu'un numéro de téléphone utilisé dans plusieurs des fraudes était enregistré au nom de Sonia Abbruzzo.

L'Agence des services frontaliers a aussi intercepté des envois de victimes aux États-Unis qui étaient adressés à son nom, avec son adresse à LaSalle. Une femme du Wisconsin a raconté aux policiers avoir envoyé 44 000 $ à Montréal parce qu'une certaine « Sonia » l'avait menacée de poursuites judiciaires si elle ne payait pas sa facture pour de prétendues publicités dans les Pages Jaunes.

Une perquisition à la résidence de la suspecte a permis de saisir 50 000 $ en argent, 20 téléphones cellulaires et une lettre d'entente avec la victime qui avait perdu plus de 2 millions.

L'analyse des comptes bancaires de Mme Abbruzzo et de ses proches, ainsi que de leurs entreprises, a aussi permis de suivre les transferts d'argent. Une récente vague d'arrestations a permis d'accuser Mme Abbruzzo, mais aussi six personnes qui auraient été ses complices, qui font face à des accusations moindres. « Beaucoup des suspects ont été utilisés pour recevoir des fonds. C'était un petit cercle familial au début, la famille était utilisée, puis des amis de la famille, des collègues, des voisins », précise l'enquêteur Sauvé.

RENDEZ-VOUS MANQUÉ

La Presse s'est rendue à l'adresse de Sonia Abbruzzo à Lasalle la semaine dernière pour solliciter une entrevue.

Mme Abbruzzo nous a ensuite contacté par téléphone et a menacé de faire arrêter notre équipe pour harcèlement, comme l'a fait récemment la police de Gatineau avec un journaliste de Radio-Canada. Elle a assuré que tout le dossier contre elle était basé sur « des accusations inventées ».

N'importe qui pourrait avoir enregistré le téléphone utilisé dans les fraudes à son nom, a-t-elle protesté. 

« Tu peux mettre n'importe quel nom sur un cellulaire, aucun de mes amis n'a de téléphone à son vrai nom. »

- Sonia Abbruzzo

Elle a proposé de se présenter à La Presse pour une entrevue afin de faire valoir son point de vue. Mais le jour convenu, lundi dernier, elle n'a pas donné signe de vie. Le numéro de téléphone qu'elle nous avait laissé pour la joindre s'est révélé un faux numéro.

La comparution des accusés a été fixée pour le 17 avril au palais de justice de Montréal. En attendant, la GRC fait tout ce qu'elle peut pour récupérer les millions subtilisés aux victimes. « On travaille avec le procureur, on va voir ce qu'on peut faire, mais ce n'est jamais garanti de pouvoir récupérer l'argent dans ces dossiers-là », déplore le gendarme Sauvé.

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VICTIMES REPÉRÉES PAR LA GRC


1. CALGARY, ALBERTA Concessionnaires de véhicules tout-terrains

2. CORONATION, ALBERTA PME pétrolière

3. NOTRE-DAME-DE-LOURDES, MANITOBA Entreprise agricole

4. ETOBICOKE, ONTARIO Fabricant d'outils

5. SIMCOE, ONTARIO Firme de purification d'eau

6. WINDSOR, ONTARIO PME manufacturière

7. SAINT-JEAN, TERRE-NEUVE Bar

8. MONTCLAIR, NEW JERSEY Résidence pour personnes âgées

9. BLACK CREEK, WISCONSIN Entreprise non spécifiée

CONSEILS DE LA GRC

• Assurez-vous que le service a bien été rendu avant de payer.

• N'agissez pas sous l'impulsion du moment.

• Ne restez pas silencieux. Si on vous menace de poursuites ou d'arrestation, parlez avec vos proches ou même avec la police pour vérifier de quoi il retourne.

LES ACCUSÉS DU PROJET CLÔTURE 

• Sonia Abbruzzo, LaSalle

• Manuela Agnessi, LaSalle

• Domenico Crivello, Saint-Sauveur

• Shirley De Lafontaine, LaSalle

• Bruno Lomanno, LaSalle

• Raffaele Lomanno, Montréal

• Tammy Parker, LaSalle