Trente-six ans après les faits, des policiers américains croient être remontés, au Québec, jusqu'aux assassins d'un père de cinq enfants qui travaillait en Floride comme chauffeur de fourgon blindé, a appris La Presse. Les enquêteurs offrent maintenant 16 000$ à quiconque brisera le silence sur ces snowbirds meurtriers et leur lourd secret.

« Mon meilleur espoir est qu'une personne, quelque part, sait qu'ils sont venus ici pour faire ce crime. Et cette personne pourrait parler. Je suis sûr que c'est possible. En vieillissant, les gens réalisent qu'ils ont fait de mauvaises choses dans leur jeunesse et ils peuvent vouloir changer cela », a expliqué hier le détective Brian Bilbrey, de la police de St. Petersburg, en entrevue téléphonique avec La Presse.

Le détective Bilbrey est chargé de l'enquête sur un vieux dossier de meurtre qui remonte au 23 janvier 1982. Ce jour-là, Joseph Warner, un convoyeur de fonds de la Brinks, s'est rendu dans un centre commercial de St. Petersburg, près de Tampa, pour ramasser un sac de dépôts.

Âgé de 44 ans, M. Warner avait une femme et cinq enfants. Il avait servi 22 ans dans l'aviation américaine avant d'être embauché chez Brinks.

DÉGUISÉS EN RÉPARATEURS D'ASCENSEURS

Lorsqu'il est sorti, seul avec son sac rempli, pour retourner à son camion blindé, le convoyeur de fonds a été accosté par deux ouvriers qui portaient des habits de travail au logo d'une entreprise de réparation d'ascenseurs. Il s'agissait en fait de voleurs déguisés. Un témoin a entendu Warner crier « Reculez ! » Puis deux coups de feu ont retenti. Le père de famille a été atteint mortellement.

Les deux suspects, dont l'un semblait tenir un révolver à la main, sont partis en courant avec le sac. Leur fuite avait été soigneusement préparée, selon le détective Bilbrey. « On dirait un scénario sorti d'un film d'Hollywood », dit-il.

Les suspects ont déguerpi dans une fourgonnette volée deux jours plus tôt à Orlando, sur laquelle ils avaient apposé des plaques d'immatriculation volées à Jacksonville.

Ils ont conduit quelques minutes jusqu'au bord de l'eau, où un bateau les attendait. L'embarcation les a menés un peu plus loin jusqu'à une route où attendait un deuxième véhicule routier, avec lequel ils ont disparu.

Le bateau avait été loué à l'aide de pièces d'identité frauduleuses au nom d'un policier de Montréal. « Nous ne croyons pas qu'un policier montréalais était impliqué. Ils ont peut-être voulu faire une blague », avance l'enquêteur.

Pendant leur fuite en bateau, les voleurs ont ouvert le sac. Il contenait près de 150 000 $... en chèques non négociables. Ils ont jeté le fruit de leur larcin dans l'eau d'un canal emprunté par leur embarcation. Ils venaient de tuer un homme pour rien.

« C'est la tragédie dans cette affaire ! » lance Brian Bilbrey.

LES GANGSTERS IRLANDO-MONTRÉALAIS

L'affaire n'a jamais été élucidée. Elle est tombée peu à peu dans l'oubli général. Sauf pour les enfants de Warner et sa veuve, qui ne s'est jamais remariée. Et pour quelques policiers de St. Petersburg chargés de revisiter périodiquement les dossiers non résolus - les « cold cases », comme disent les enquêteurs.

En révisant le dossier avec les moyens d'aujourd'hui, ceux-ci ont pu faire des avancées significatives. Ils ont obtenu le profil ADN des suspects, un procédé qui n'était pas connu dans les années 80. Et ils ont fait des liens entre le braquage et la présence en Floride, pendant le mois de janvier 1982, de certains membres du gang de l'Ouest, un regroupement de criminels montréalais majoritairement d'ascendance irlandaise, spécialistes des attaques de banques et de fourgons blindés.

« J'ai quelques suspects dans la région de Montréal que je regarde de très près. Ils sont liés au gang de l'Ouest et ils avaient aussi des liens dans la communauté de St. Petersburg. Certains ont déjà été arrêtés ici et l'un d'entre eux a même déjà vécu ici un bout de temps », raconte M. Bilbrey.

« Ils ont été impliqués dans des crimes similaires à Montréal. Plusieurs fois. C'étaient des braqueurs de fourgons vraiment horribles. »

- Le détective Brian Bilbrey, de la police de St. Petersburg

« À une certaine époque, Montréal était une des capitales mondiales des attaques de fourgons blindés », remarque le policier américain.

Certains des témoins qui avaient assisté au crime sont morts aujourd'hui, mais la police de St. Petersburg a conservé minutieusement chaque témoignage de l'époque. La preuve n'est pas encore complète, mais il n'en manque pas beaucoup. Les policiers espèrent être en mesure de mettre la main au collet des braqueurs le plus rapidement possible.

Les enquêteurs ont vérifié, et constaté que ceux-ci semblent couler des jours paisibles au Québec. Pour l'instant.

Toute information peut être acheminée à l'unité des crimes majeurs de la police de St. Petersburg au 727 893-7164.

La récompense offerte est de 13 000 $ US, soit un peu plus de 16 000 $ CAN.

Photo fournie par la police de St. Petersburg

Portrait-robot de l'un des suspects