Un jeune réfugié guinéen bisexuel arrivé à Montréal il y a un an pour demander l'asile sera déporté ce vendredi après-midi. Le Canada met ainsi sa vie en réel danger, selon son avocat, alors que l'homosexualité est considérée criminelle dans ce pays de l'Afrique de l'ouest.

C'était son ultime chance mardi dernier. Karim (nom fictif) était assis avec les spectateurs à la première rangée de la salle d'audience de la cour fédérale, sur la rue McGill, entouré d'une quinzaine d'amis et supporteurs. Les bras et les jambes croisés, la mâchoire serrée, le jeune homme dans la vingtaine écoutait son avocat et la Couronne débattre des preuves dans son dossier, à savoir si elles prouvaient ou non sa bisexualité. 

S'il avait encore un peu d'espoir en quittant la salle ce jour-là, Karim s'effondre lorsque la décision tombe à 36 heures du départ prévu.  La cour fédérale ordonne son renvoi et se range derrière la décision qu'avait auparavant rendue la Commission de l'immigration et du statut de réfugiés du Canada (CISR).

Le motif du refus : on ne croit pas à son histoire de bisexualité. Sa demande d'asile est donc considérée frauduleuse, incongrue et trop similaire à trois autres cas passés.

«Le Canada m'envoie à la boucherie », dit Karim, la voix étranglée. S'il accepte qu'on raconte son histoire, il insiste pour que son nom ainsi que ceux de sa famille ne soient pas divulgués. Pour ne pas les mettre encore davantage en danger.

«C'est la détention ou la mort qui l'attend en Guinée», affirme sans hésiter son avocat Stewart Istvanffy. Si la police le met en prison, il ne va peut-être pas mourir tout de suite, mais s'il est dans les rues, il va peut-être mourir beaucoup plus vite. »

En Guinée, l'homosexualité est considérée comme criminelle et passible de prison, les peines pouvant aller jusqu'à trois ans. «Et sur le terrain, la réalité de la communauté LGBTQ+ et de leur entourage est très difficile», souligne Meryem Benslimane, administratrice à AGIR, un organisme montréalais d'Action LGBT avec les immigrants et les réfugiés que fréquentait Karim. 

Persécutés en raison de l'orientation sexuelle de Karim, sa femme et ses enfants vivent actuellement cachés en Guinée. Un mandat d'arrêt a aussi été émis en septembre contre un des amis dont la maison s'est fait attaquer. Motif d'inculpation inscrit sur le mandat d'arrêt : « avoir aidé Karim, homosexuel, à fuir la Guinée. »

Une décision qui contrevient à la charte des droits et libertés

Me Istvanffy ne mâche pas ses mots : « cette décision est complètement farfelue et va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés et de la convention de Genève, affirme-t-il, dénonçant aussi les délais qu'il trouve déraisonnables dans le traitement du dossier alors que les heures étaient comptées. Selon lui, Karim a été victime de pratiques homophobes et discriminatoires.

« On met clairement une personne en danger de mort, déplore aussi l'administratrice d'AGIR. Renvoyer Karim en Guinée en sachant ça, c'est criminel, on ne peut pas faire ça. »

« J'ai l'impression que l'agente de renvoi qui a pris la décision n'a pas lu le dossier, ajoute Me Istvanffy. Sa décision et ses explications donnent une impression d'insouciance devant la vie humaine. »

Car les preuves qui ont été avancées pour démontrer sa bisexualité et les dangers pour sa vie étaient fortes et nombreuses, selon lui. Mais une fois qu'une décision est rendue par le CISR, difficile de la faire changer. « Entre 10 et 15% des demandes de révision faites à la cour fédérale sont acceptées pour être entendues, et parmi celles-ci, de 7 à 10% réussissent à renverser le jugement de la CISR », estime M. Istvanffy.

L'avocat avait aussi commencé son plaidoyer devant la cour fédérale mardi dernier en demandant une récusation de la juge, ayant « perdu confiance dans son jugement par rapport aux gais de l'ouest de l'Afrique », rappelant un autre dossier de demande d'asile qu'elle avait refusé d'entendre il y a un an. Le demandeur d'asile en question s'était violemment fait battre dès son arrivée dans son pays. La juge a toutefois rejeté sa demande.

Incompréhension et préjugés autour de la bisexualité

«Homosexualité ou bisexualité, peu importe, on ne va pas jouer avec les mots », a laissé tomber l'avocate de la Couronne entre deux arguments durant l'audience de mardi dernier.

Mais jouer sur les mots, ici, aurait pu faire une différence, selon plusieurs intervenants.

«La méconnaissance de la bisexualité peut mener à un mauvais jugement, fait valoir Meryem Benslimane de AGIR. Les cas de bisexuels sont vraiment très difficiles à gérer dans le système des réfugiés. Souvent, ils ne sont pas cru parce qu'on s'attend à ce qu'une personne corresponde aux stéréotypes du gai ou de la lesbienne. S'il a des enfants ou une famille comme Karim, on trouve que son témoignage n'est pas fiable. »

«La bisexualité n'est pas juste d'avoir des relations avec un homme ou une femme, c'est une identité, pas nécessairement un choix, ajoute Christian Tanguay, directeur général du centre communautaire LGBTQ+ de Montréal que Karim fréquentait assidument depuis son arrivée à Montréal. Si les commissaires qui étudient les dossiers ne comprennent pas ça, il peut facilement y avoir discrimination. »

M. Tanguay souligne que de nouvelles directrices à l'intention des commissaires ont été mises en place en mai dernier, mais ne semblent pas encore être effectives. «Ces recommandations disent que le dossier d'un demandeur d'asile homosexuel, bisexuel ou trans doit être traité au même pied d'égalité qu'un dossier de répression politique », explique-t-il

Le Canada pour vivre en sécurité

« Je croyais que les bisexuels pouvaient vivre en paix ici», dit Karim, déboussolé. L'an dernier, le premier ministre canadien Justin Trudeau a d'ailleurs été nommé champion de la lutte contre l'homophobie par la fondation Émergence en raison de son engagement et ses gestes pour protéger les droits de la communauté LGBT.

« Montréal est aussi supposée être une ville sanctuaire, on est supposé s'occuper des personnes réfugiés », rappelle aussi l'administratrice d'AGIR.

Ce cas survient aussi alors que les déportations du Canada vers la Guinée sont plus nombreuses depuis un an. Quelques manifestations et dénonciations ont été organisées à ce sujet. Selon l'organisme Statut pour les Guinéens, cette multiplication coïncide avec l'entrée en vigueur d'un Accord sur la protection et la promotion des investissements étrangers entre le Canada et la Guinée.

«Ce n'est pas la première fois que nous sommes témoins d'une déportation comme celle-là et que la personne arrive chez elle et se fait tuer très vite, se désole Viviana Medina, porte-parole du Centre des travailleurs immigrants dont est membre Karim depuis plusieurs mois. Ce sont des histoires terribles, mais le système ferme les yeux, ne les écoute pas,  on ne les croit pas.»

Le Centre des travailleurs immigrants, AGIR, le centre communautaire LGBTQ+ de Montréal et d'autres organismes s'allient pour  interpeller le ministère de l'immigration par des lettres, le sommant de stopper cette déportation, prévue pour 15h cet après-midi.