La justice vient de condamner la police de Montréal à verser plus de 175 000 $ à un étudiant qui a perdu un oeil pendant une manifestation étudiante du printemps 2012, tout en écorchant le chef actuel Philippe Pichet pour sa gestion du dossier.

Le juge a établi que contrairement aux prétentions du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), c'est bien une grenade assourdissante qui a grièvement blessé Francis Grenier.

Le jeune homme avait 22 ans lorsqu'il a participé à une manifestation, le 7 mars 2012, devant les bureaux de Loto-Québec, rue Sherbrooke.

Dans la confusion d'une charge policière, « il entend une détonation et constate aussitôt qu'il est blessé à l'oeil droit », relate le juge Steve J. Reimnitz dans son long jugement publié hier matin. Il ne retrouvera jamais l'usage de son oeil, ce qui détruit ses projets de vie, a retenu la justice.

Le chef du SPVM critiqué

À l'époque, Philippe Pichet était chargé de coordonner les opérations entourant le « printemps érable ». L'officier devenu chef a voulu « minimiser les risques liés à l'utilisation » des grenades, affirme la décision de justice, qui ajoute qu'il a manqué de sérieux dans sa réponse à l'événement. M. Pichet avait comparé l'avertissement de « risque de blessure ou de mort » mentionné par le fabriquant de la grenade aux avertissements que l'on peut trouver sur « une boîte de céréales ».

De façon plus générale, « on a voulu éviter de laisser des traces de constats nuisibles au SPVM » après cet événement, notamment en évitant de rédiger un rapport écrit, constate le juge Reimnitz. Il note que « tous les policiers » entendus au tribunal « ont nié ou tenu à diminuer le risque associé à l'utilisation » de ces grenades.

Hier, le SPVM a indiqué qu'il était trop tôt pour commenter la décision du juge.

«Contexte d'imprécision»

Le magistrat retient la responsabilité du corps policier quant à la blessure de Francis Grenier, notamment parce qu'il n'existait « aucune » procédure claire sur la méthode d'utilisation des grenades assourdissantes « au SPVM au moment des événements », mais aussi parce que la police minimisait les dangers de cet équipement.

« L'utilisation des grenades RBBG dans un tel contexte d'imprécision constitue une faute », écrit-il.

Le principal intéressé, Francis Grenier, n'avait pas encore eu le temps de lire la décision, hier après midi. Il s'est toutefois dit « très satisfait » de voir reconnue la responsabilité du SPVM, ainsi que du montant du dédommagement accordé. « C'est sûr que je n'ai pas récupéré l'usage de mon oeil, ma condition est permanente. Le jugement donne un certain baume, mais c'est sûr que ça ne répare pas la perte de vision », a-t-il dit.

Devant le tribunal, il avait expliqué à quel point cette blessure avait chamboulé sa vie, attribuant notamment une tentative de suicide à cet événement.

Alain Arsenault, l'avocat de Francis Grenier, s'est aussi dit satisfait du jugement.

« Dès le départ, dans l'affaire Francis Grenier, les policiers ont voulu trouver une porte de sortie, a-t-il dit. C'est ça qui est important dans ce jugement : la banalisation [de ces grenades], et ça, c'est Philippe Pichet. Sur ce type d'armes, il y a des mises en garde et ça peut être mortel. »

Avec les intérêts, la somme totale que le SPVM doit verser à Francis Grenier s'élève à près de 230 000 $.