Les policiers ont mis trois heures après le premier appel au 911 avant de découvrir le corps de James Jardin, l'une des deux victimes de la folie meurtrière de Frédérick Gingras, le 4 décembre dernier, selon un mandat de perquisition obtenu par La Pressepar lequel les enquêteurs demandent à la Régie de l'assurance maladie d'avoir accès au dossier de Gingras. Avant de tuer le jeune homme et une mère de famille, Chantal Cyr, Gingras a joué à Grand Theft Auto, un jeu vidéo de poursuites en voiture ponctuées de fusillades.

22 h 47

Un témoin appelle au 911 à partir d'une cabine téléphonique de la rue Broadway. Il dit avoir entendu deux coups de feu et un cri à l'appartement 1 ou 2 du 1280 de la 1re Avenue quelques minutes auparavant. Pendant ce temps, deux patrouilleurs du poste de quartier 49 attendent au feu rouge à l'intersection des rues Saint-Jean-Baptiste et Sherbrooke lorsque l'un d'eux entend un bruit sourd en provenance de la station Esso située au coin.

L'agent Chabot se tourne et aperçoit un VUS noir qui avance et recule, en percutant presque les pompes. Il se met à la poursuite du véhicule suspect qui brûle un feu rouge. Mais les policiers voient une personne étendue sur le sol à la station-service et abandonnent rapidement la poursuite pour lui porter secours.

23 h 02

Une personne appelle au 911 pour dire qu'une femme a été atteinte par un coup de feu. L'agent Labbé entre dans la station-service et rencontre la fille de la victime qui raconte que sa mère, Chantal Cyr, 49 ans, venait la chercher comme à chaque fin de quart de travail. Elle ajoute que sa mère a un Jeep Patriot noir, qui correspond au véhicule pris en chasse dans les minutes précédentes.

23 h 05

Un appel est fait au 911 pour un véhicule qui vient de faucher un poteau à l'angle des rues Saint-Jean-Baptiste et Notre-Dame. Un voisin entend un bruit et s'avance à sa fenêtre. Il voit un homme sortir du véhicule et tenter de le déplacer, sans succès. Le pneu avant passager est crevé. Le voisin voit l'homme prendre une arme longue et disparaître dans la nuit, en direction du fleuve.

23 h 15

Mme A.B. regarde la télévision. Ses deux enfants dorment à l'étage. Soudain, ses trois chiens aboient en direction de la porte-fenêtre. La femme se rend à la porte, allume la lumière extérieure et voit une arme. Un premier coup de feu est tiré. La femme peut même sentir l'odeur du coup de feu. Elle se rue à l'étage pour réveiller ses filles. Elle entend le suspect parler, mais ne comprend pas ce qu'il dit. Elle entend un second coup de feu et parvient à sortir de la maison avec ses enfants et à se réfugier chez un voisin.

23 h 39

On sonne à la porte chez G.L. Au moment où ce dernier met la main sur la poignée, la porte s'ouvre, un coup de feu est tiré et l'intrus crie « tes clés, tes clés ! » L'homme pousse sur la porte pour repousser le suspect, mais celui-ci réussit à entrer. Il pointe son arme sur le résidant qui a juste le temps de pousser sur le canon au moment où le coup de feu part. L'homme ressent une douleur à un bras et au côté gauche du ventre. Il continue à lutter contre le forcené qui tire une autre fois, l'atteignant à un pied. Le résidant finit par dire au suspect où se trouvent ses clés de voiture. Il prend la fuite à bord de son Ford Escape blanc.

0 h 00

Les agents Dextradeur, Dubois et Horvath quittent la scène où un poteau a été sectionné et se positionnent sur l'autoroute 20, près de la sortie de l'île Charron, et attendent, tous phares éteints. À peine une minute plus tard, un Ford Escape blanc passe devant eux à toute vitesse. Les patrouilleurs engagent la poursuite, qui se continue sur la 132 Ouest. Les véhicules atteignent des pointes de 170 km/h. À la hauteur du pont Champlain, les policiers perdent de vue le véhicule suspect.

0 h 15

Un couple roule sur l'autoroute 30 Ouest, à l'angle de l'autoroute 10, lorsqu'il remarque un véhicule au bord d'un fossé. Il s'arrête pour vérifier si le conducteur a besoin d'aide. Ce dernier est très nerveux et a une longue déchirure dans son jeans, du côté de la cuisse gauche. Il ne veut pas raconter ce qui s'est passé et refuse que le couple appelle la police. Il demande un transport pour n'importe quelle ville proche. Un camion s'arrête en bordure de la route et l'individu court vers le véhicule lourd.

0 h 30

Les agents Lamothe et Belletete patrouillent sur le boulevard Leduc, dans le Quartier DIX30, lorsqu'ils remarquent un homme qui marche vers eux. Le suspect les voit et se met à courir vers un magasin, mais les policiers le rattrapent et l'arrêtent. Ils trouvent une cartouche de calibre 12 dans une de ses poches. Plus tard, sur le sol, à 15 mètres devant le Ford Escape blanc endommagé en bordure de la 30, les policiers trouveront un fusil de calibre 12 et une ceinture contenant 20 cartouches. Le pneu avant gauche du véhicule est crevé, le suspect roulait sur la jante.

1 h 28

Un appel est fait au 911 pour les coups de feu entendus précédemment (22 h 47) sur la 1re Avenue. C'est une locataire de l'immeuble du 1281 qui s'inquiète. Elle avait déjà appelé après avoir entendu les coups de feu et était en fait la première personne à avoir joint le 911 concernant cet événement. Elle frappe à la porte de l'appartement 2, en vain. Elle ouvre la porte du logement, dit allo, sans avoir de réponse, et aperçoit une trace de sang sur le sol. Elle retourne à son appartement et appelle le 911 pour la troisième fois, car les policiers ne sont toujours pas venus. Un sergent la rappelle pour lui dire que la situation est sous contrôle. Elle retourne au logement numéro 2, remarque que les lumières sont allumées et que la porte arrière est ouverte. Elle rappelle au 911.

1 h 37

Des patrouilleurs se présentent au 1281, 1re Avenue et se rendent chez la locataire qui a appelé au 911.

1 h 45

Les policiers entrent dans l'appartement numéro 2. L'appartement est en désordre. Ils découvrent un homme qui gît ensanglanté dans le corridor qui mène à la salle de bains. C'est James Jardin. L'homme de 20 ans a un trou de trois pouces de diamètre à la hauteur du biceps du bras gauche. Il ne respire pas. Le corps est blanchâtre et semble rigide. Une douille de 12 verte non percutée se trouve à côté du corps.

DANS LES HEURES QUI ONT PRÉCÉDÉ LA FOLIE MEURTRIÈRE...

Frédérick Gingras était dans le logement de l'une des victimes, James Jardin, dans la 1re Avenue, en compagnie de Jardin et de cinq autres jeunes, trois hommes et deux femmes. James Jardin a présenté à l'une d'elles Frédérick Gingras comme un ami d'enfance. Un des jeunes raconte avoir apporté une caisse de 24 bières vers 20 h. Deux des jeunes interrogés par les policiers disent avoir remarqué que Frédérick Gingras était bizarre, se levait et s'assoyait sans cesse, faisait les cent pas et parlait tout seul. Il aurait fumé un ou deux joints. James Jardin jouait au jeu vidéo Grand Theft Auto sur sa console. À 20 h 30, il s'est levé pour accompagner à la porte une des filles qui était inquiète du comportement de Gingras et qui a quitté le logement. Frédérick Gingras a alors pris sa place derrière la console. À un certain moment, lui et Jardin se sont retrouvés seuls dans la chambre de ce dernier. Les autres jeunes présents ont alors entendu un gros bruit et ont pensé que la télévision était tombée. Ils ont ensuite entendu James Jardin hurler et Gingras crier « Don't f... me ». Ils ont entendu un second coup de feu et ont pris la fuite par la porte arrière. Deux d'entre eux se sont rendus à la cabine téléphonique d'une station-service de la rue Broadway pour appeler au 911 (appel de 22 h 47). Ils se sont ensuite rendus dans un bar de la rue Notre-Dame.

LE SPVM CONFIRME LE DÉLAI DE 3 HEURES

Jointe hier par La Presse, la commandante Marie-Claude Dandenault, responsable des relations avec les médias au SPVM, a confirmé qu'un délai de trois heures s'est écoulé entre l'appel initial au 911 - fait par une locataire de l'immeuble où James Jardin a été tué - et la découverte du corps du jeune homme. Elle explique l'origine des délais par le fait que les premiers policiers ont été dépêchés au 1280 de la 1re Avenue, et non pas au 1281, de l'autre côté de la rue. Des patrouilleurs du PDQ 48 auraient été envoyés sur place, mais on ignore la nature des vérifications effectuées. Selon Mme Dandenault, le meurtre de Mme Cyr est survenu sur ces entrefaites et une importante chasse à l'homme s'est engagée pour appréhender le suspect, ce qui a mobilisé toute l'attention et beaucoup d'effectifs. Le SPVM était incapable, hier soir, de dire si l'erreur d'adresse a été faite par lui ou par le 911. La commandante assure pouvoir obtenir aujourd'hui toutes les heures et les démarches entreprises.

UNE BOMBE À RETARDEMENT

Aux enquêteurs des Crimes majeurs du SPVM, la mère de Frédérick Gingras a dit que son fils est psychotique, qu'il a été placé plusieurs fois en institution, mais qu'il a toujours été relâché. Il a remplacé le Ritalin par la drogue. Il l'a agressée en octobre 2016 et a été incarcéré à la prison de Saint-Jérôme jusqu'au 16 novembre (moins de trois semaines avant les événements). Il a eu plusieurs périodes de paranoïa. Il prend un médicament par injection une fois par mois, mais ne l'aurait pas reçu dans les jours précédant le drame.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou à l'adresse postale de La Presse.