« Inacceptable », « troublant », « préoccupant ». Plusieurs politiciens de Québec ont réagi à l'espionnage du journaliste de La Presse par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM).

« Inacceptable », s'insurge le chef péquiste

Pour le chef péquiste Jean-François Lisée, l'espionnage du journaliste de La Presse, Patrick Lagacé par la police de Montréal est « inacceptable » et devrait « cesser immédiatement ». 

Les révélations de La Presse laissent le chef péquiste « complètement outré », a-t-il dit dans une entrevue à 98,5 ce matin. « Le travail du journaliste fait partie de la démocratie, lance sans détour, Lisée, lui-même ancien journaliste. C'est un genre de soupape pour que des informations qui devraient circuler, mais ne circulent pas, puissent arriver aux lecteurs, aux citoyens, et même aux élus ».

« Qu'un journaliste ait été sous enquête, que son téléphone ait été vu, qu'il ait été géolocalisé alors que la Cour suprême disait récemment que cela devrait être réservé à des cas exceptionnels - et c'est encore trop - que l'Assemblée nationale ait unanimement réprouvé en septembre dernier la saisie de l'ordinateur du journaliste du Journal de Montréal Michael Nguyen, que la police continue de tenter d'avoir des sources du côté des journalistes, c'est inacceptable. Il faut mettre un holà à ça ».

« Extrêmement troublant », dit Stéphanie Vallée

« C'est extrêmement troublant. » Voilà comment a réagi la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, en prenant connaissance dans La Presse + de l'espionnage réalisé à l'endroit du chroniqueur Patrick Lagacé.

En entrevue avec Le Droit en marge d'une conférence de presse tenue à Gatineau lundi matin, la ministre Vallée a indiqué avoir demandé plus de détails sur ce dossier.

« La demande qu'on a formulée pour obtenir plus d'informations nous amènera à voir, le cas échéant, s'il y a des gestes à poser pour la suite des choses, mais pour le moment, je ne peux pas vous dire, aujourd'hui à 11 h, que c'est tel ou tel truc, ou tel geste qui sera posé. »

Stéphanie Vallée affirme que deux enjeux s'entremêlent dans cette histoire. « Il y a la liberté de presse, et je pense que tout le monde reconnaît le rôle et l'importance de la liberté de presse dans une société libre et démocratique, et pour moi, ça, c'est extrêmement important. [...] On a l'indépendance judiciaire aussi, qui est aussi à la base d'une société libre et démocratique. Je vous avoue que pour ce qui est des fins détails de ce dossier-là, on a demandé des vérifications additionnelles pour avoir un portrait plus global de cette question-là. On est préoccupé, mais on doit respecter aussi l'indépendance judiciaire, alors c'est difficile pour moi de commenter un dossier qui est pendant devant les tribunaux, mais je suis quand même préoccupée par ce que j'ai pu lire ce matin. »

La protection des sources, a-t-elle réitéré, est « à la base d'une société libre et démocratique ».

« La liberté de presse est nécessaire, il faut permettre aux journalistes d'informer la population. Si on n'est pas en mesure de le faire, je pense qu'on porte atteinte, quand même, à un enjeu important dans une société comme la nôtre. »

En ce qui concerne la particularité des demandes de mandats visant des membres des médias, la ministre Vallée n'a pas voulu s'avancer pour dire si elles devraient être traitées d'une manière différente, comme c'est le cas lorsqu'un dossier aboutit entre les mains du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

« Je sais qu'il existe déjà des directives au DPCP, maintenant, dans certains cas, ce ne sont pas tous les mandats qui vont demander l'intervention du procureur du DPCP. Je sais que les membres de la magistrature ont des formations particulières pour justement répondre à ce type de dossiers où on interpelle, où on demande une perquisition et que la personne visée est un membre des médias, ça existe déjà. »

Des questions à poser au SPVM et à la juge, estime François Legault

Pour le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, les citoyens sont en droit de s'interroger sur le travail du Service de police de Montréal, mais aussi de la juge de paix Josée de Carufel qui a autorisé à de nombreuses reprises la police à traquer le journaliste Patrick Lagacé.

«C'est troublant que les policiers aient demandé et reçu le mandat d'avoir accès aux appels et à la localisation (du journaliste). Mais c'est aussi troublant que la juge de paix qui doit agir comme garde-fou ait autorisé tout ça. On peut s'interroger sur les compétences et la formation des juges de paix», de soutenir M. Legault.

Comme beaucoup, il observe que cette filature électronique «met en cause la liberté d'information», mais ajoute que «c'est un mauvais message à lancer à tous les lanceurs d'alerte» qui craindront désormais être identifiés par les policiers.

«J'aimerais qu'on sache qui au SPVM a autorisé cette demande, et ce qui n'a pas fonctionné du côté de la juge de paix. Les deux sont en défaut selon moi», de conclure le chef de la CAQ.

«Il faut se tenir debout», dit Mulcair

Le chef du NPD Thomas Mulcair se dit «abasourdi» d'apprendre que le journaliste de La Presse Patrick Lagacé a vu téléphone être mis sous surveillance durant six mois par le Service de police de la Ville de Montréal afin de connaître l'identité de ses interlocuteurs. «C'est extrêmement grave ce qui a été permis. [...] Il faut se tenir debout face à une telle invasion de nos droits et libertés», dit Thomas Mulcair.  

«Je trouve ça ahurissant, je suis abasourdi qu'on soit en train de vivre ça au Canada au 21e siècle, dit M. Mulcair en entrevue à La Presse. [...] Ça renvoie à une question fondamentale : dans quelle sorte de société nous voulons vivre? La Cour suprême, dans une série de décisions, est très claire : c'est le genre de choses qu'on peut faire à l'égard d'un journaliste que dans les situations les plus rares où un crime grave est en cause. Ce qu'on a ici devant nous, c'est une enquête de régie interne de la police de Montréal où on va chercher l'ensemble de l'information personnelle et professionnelle d'un journaliste. [...] Il ne faut pas banaliser le sérieux de ce qui vient de se passer dans le cas de Patrick Lagacé.»

Le chef du NPD s'inquiète du nombre de cas où les forces policières ont tenté d'obtenir des informations sur les sources des journalistes, soit par le biais d'une filature (le journaliste de La Presse Joël-Denis Bellavance a été filé par la GRC en 2007), de saisie d'un ordinateur (le journalise Michaël Nguyen, du Journal de Montréal, à la suite d'une demande du Conseil de la magistrature) ou d'un téléphone mis sur surveillance (Patrick Lagacé par le SPVM).

Thomas Mulcair n'est pas rassuré par la réaction du gouvernement Trudeau dans le cas de la filature par la GRC du journaliste Joël-Denis Bellavance, de La Presse. «Lorsque la GRC avait traqué le journaliste Joël-Denis Bellavance illégalement, il y a eu zéro suite, dit M. Mulcair. C'est pourtant d'une illégalité frappante. Le ministre Ralph Goodale a fait semblant que ce n'était pas un problème. Il a dit que ça s'était réglé, ce qui était de la pure foutaise.»

La solution? Que les forces policières et surtout les juges qui autorisent de telles demandes de surveillance soient plus vigilants et respectent les critères de la Cour suprême au sujet des interventions policières à l'égard des journalistes, selon Thomas Muclair.

«Je ne vise pas un juge en particulier, il est assez clair pour moi que les tribunaux supérieurs doivent intervenir vigoureusement pour rappeler les règles de la Cour suprême, dit-il. [...] Cette année, on a vu ni plus ni moins le Conseil de la magistrature [demander à consulter l'ordinateur d'un journaliste] [...] Est-ce qu'on peut commencer à réaliser à quel point c'est grave? Une solution consiste à former l'ensemble des juges sur cette question-là. C'est comme si la Cour suprême n'avait jamais statué sur les affaires de Daniel Leblanc, Andrew McIntosh et d'autres décisions [sur la liberté de presse].»

«Les journalistes ne sont pas n'importe quelle tierce partie, ils ont un rôle reconnu maintes et maintes fois par la Cour suprême qui doit être protégé dans une société démocratique parce que ce rôle protège nos droits, dit Thomas Muclair. La liberté d'information, la liberté de la presse, la liberté d'expression font partie de droits essentiels dans une société libre et démocratique. Ces droits fondamentaux et le rôle des journalistes sont en train d'être bafoués par des situations comme celle-ci. Comme élu et membre du Barreau depuis plus de 35 ans, je suis vivement préoccupé par ce que j'ai vu aujourd'hui.»

Le Bloc québécois «stupéfait»

Le chef du Bloc québécois Rhéal Fortin se dit «stupéfait d'apprendre que des mandats qui semblent être très larges» aient permis la surveillance d'un journaliste. 

«Je ne peux pas parler du dossier [de Patrick Lagacé] en particulier, mais sur les principes, la liberté de presse est un principe essentiel qui doit être protégé. Je suis stupéfait d'apprendre que des mandats qui semblent être très larges, c'est un peu inquiétant», dit M. Fortin, qui estime que l'autorisation des mandats par une juge de paix semble une mesure de précaution «raisonnablement satisfaisante» à son avis. 

«Ça a joué son rôle jusqu'a maintenant. Maintenant, est-ce que c'est suffisant? Est-ce qu'on ne pourrait pas améliorer? Il faudra voir.»

Québec solidaire craint pour les lanceurs d'alerte

Pour Québec solidaire, le gouvernement Couillard doit immédiatement ordonner à la police de mettre fin à l'espionnage de journalistes, une opération inacceptable qui fera taire les éventuels lanceurs d'alerte que prétend protéger le projet de loi 87.

Pour la députée de Sainte-Marie-Saint-Jacques, Manon Massé, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, doit «mettre fin à la traque aux sources journalistiques dans la foulée de l'affaire Patrick Lagacé».

«Dans ce contexte inquiétant, le gouvernement doit agir sans plus tarder pour protéger les lanceurs d'alertes en amendant le projet de loi 87 actuellement à l'étude à l'Assemblée nationale», souligne Mme Massé.

«Depuis des mois, nous savons que le SPVM et la Sûreté du Québec se démènent pour identifier les policiers qui se confient aux journalistes quand une enquête fait du surplace. On voit aujourd'hui qu'ils sont prêts à tout pour entraver le travail essentiel des journalistes et faire taire les sources», observe Mme Massé.

Le ministre Coiteux, mais aussi le maire Coderre doivent «répondre de cette chasse aux sorcières menée en toute impunité par des corps policiers qui se croient tout permis. Le public a le droit de savoir s'il habite maintenant dans la Russie de Poutine!», laisse tomber Mme Massé.

Le gouvernement Couillard a, selon elle, «dilué» le projet de loi 87, censé protéger les employés qui révèlent des cas de malversation au sein de leur organisme. L'article 6 du projet de loi représenterait, selon elle, «un recul inacceptable pour les journalistes» puisqu'il obligerait les lanceurs d'alerte à communiquer avec un corps de police avant de «sortir» publiquement.