Malgré une modification à la loi fédérale qui permet de les arrêter plus facilement, le nombre d'accusations déposées contre des clients de prostituées demeure bien faible à l'échelle du Québec. Seulement 56 d'entre eux ont été accusés d'achat de services sexuels entre décembre 2014 et le mois d'août dernier.

Le Directeur des poursuites pénales et criminelles du Québec a autorisé des accusations dans 56 cas à travers tous les districts judiciaires du Québec, dont 13 à Laval, établit un document obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

« C'est vraiment une honte et c'est la preuve que la loi n'est pas appliquée correctement. La réalité du terrain s'exprime à travers ces chiffres », estime la criminologue Maria Mourani. L'arrêt Bedford a forcé le fédéral à modifier sa loi, en 2014, pour criminaliser l'achat de services sexuels.

« On a beau avoir une loi, il faut des lignes directrices qui descendent dans tous les corps de police. Or, je n'ai vu aucune directive promulguée pour s'attaquer au client. »

« Avec la clarification de la loi, je me serais attendue à plus d'actions policières », dit Mme Mourani.

C'est à Laval que le nombre d'accusations est le plus important : on parle de 13 entre décembre 2014 et août 2016. Ces chiffres sont le résultat des deux phases de l'opération Défensif, explique Geneviève Major, porte-parole du Service de police de Laval. « S'il n'y avait pas eu ces opérations-là, on serait à zéro arrestation », note-t-elle.

FUGUES À LAVAL

En mars dernier, la police de Laval a arrêté 10 clients, puis 3 autres, dans le cadre d'une opération inédite. Les enquêteurs ont placé des annonces sur des sites internet offrant des services sexuels où on avait retrouvé la trace de fugueuses adolescentes. On y écrivait clairement que l'offre concernait une prostituée mineure. Dix hommes, âgés de 37 à 72 ans, ont mordu à l'hameçon. Ils ont été arrêtés et accusés.

Ces opérations policières sont le résultat de la crise des fugues à Laval, estime Mme Mourani. « Ces chiffres sont gonflés artificiellement, en quelque sorte, à cause d'une opération bien ciblée qui a été générée parce que les médias ont brassé et que les gens se sont indignés dans l'histoire des fugues », croit Mme Mourani.

Cependant, l'initiative de Laval semble être un acte isolé si on se fie aux chiffres globaux. À Montréal, par exemple, des accusations ont été déposées contre des clients dans seulement sept cas en presque deux ans. C'est presque autant qu'à... Chibougamau, où cinq hommes ont été accusés. À Québec, des accusations ont été portées dans onze cas, six à Saint-Jérôme et deux à Longueuil. 

Le Service de police de la ville de Montréal nous a renvoyé à la semaine prochaine pour des commentaires. En mars dernier, l'inspectrice-chef Johanne Paquin nous assurait que les clients allaient bel et bien être visés. « Avec l'arrêt Bedford, on n'a pas le choix : monsieur achète des services sexuels ? Il est passible d'accusations. »

« À ma connaissance, le client n'est jamais inquiété sauf s'il commet des actes de violence sur la personne, dit Maria Mourani. La directive aux policiers, c'est que pour arrêter des clients, il faut qu'il y ait des mineures, des organisations criminelles comme les gangs de rue et de la drogue. Quand ils ont ces trois éléments-là, ils passent à l'action. »

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse