En février 2015, Lee Carter sortait de la salle d'audience de la Cour suprême du Canada, des larmes de joie aux yeux. Un an et deux mois plus tard, elle entrait au parlement la déception dans le regard.

« Je ne comprends tout simplement pas », a laissé tomber Mme Carter en conférence de presse, jeudi, entourée de son frère Price ainsi que de Josh Paterson, directeur de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

Les enfants de Kay Carter, cette femme dont la cause portée jusqu'en Cour suprême du Canada rendra légale l'aide médicale à mourir au pays, ont taillé en pièces le projet de loi C-14 dont a accouché le gouvernement libéral.

Car dans sa mouture actuelle, la mesure législative n'aurait selon eux pas permis à leur mère atteinte de sténose spinale, qui a dû se rendre en Suisse en 2010 pour obtenir une aide au suicide, d'avoir accès à l'aide médicale à mourir au Canada.

« Nous avons passé plus de cinq ans à porter cette cause, et la Cour suprême, dans son jugement unanime, a reconnu que les personnes comme ma mère avaient le droit d'avoir accès à l'aide médicale à mourir », a regretté Mme Carter.

Or, les critères d'admissibilité prévus dans le projet de loi - notamment la « mort naturelle prévisible » et l'incurabilité - sont nettement trop restrictifs, et ne respectent pas l'esprit et la lettre de la décision unanime du plus haut tribunal au pays, d'après Me Paterson.

Le gouvernement et la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, assurent que C-14 est constitutionnel. Mais à ce gouvernement et à cette ministre, le représentant de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a lancé une remarque cinglante, jeudi.

« En tout respect, les avocats du gouvernement ont eu tort ces six dernières années sur l'aide médicale à mourir », a laissé tomber Josh Paterson.

« Et en tout respect pour la ministre, nous ne sommes pas d'accord quand elle dit que Kay Carter et les personnes dans sa situation seraient admissibles. Sa mort n'était pas prévisible en raison de sa maladie », a-t-il poursuivi.

L'avocat n'a pas mâché ses mots pour critiquer la mesure législative concoctée par le gouvernement fédéral, qu'il a qualifiée de « honteuse » et d'« inconstitutionnelle » et qui, selon lui, serait rapidement contestée devant les tribunaux.

Le président du comité parlementaire mixte spécial qui s'était penché sur la question de l'aide médicale à mourir, le député libéral Rob Oliphant, redoute aussi que C-14 ne passe pas le test des tribunaux.

« Je crains que certains termes contenus dans le projet de loi puissent poser des problèmes et mener à une contestation fondée sur la Charte », a-t-il offert en mêlée de presse.

« Je pense qu'ils ont plaidé très solidement leur cause », a-t-il dit au sujet des arguments mis de l'avant par Josh Paterson, Lee et Price Carter en conférence de presse.

Le gouvernement libéral espère faire adopter d'ici la date butoir du 6 juin prochain ce projet de loi présenté la semaine dernière. Tous les députés, sauf les ministres, auront le droit de voter selon leur conscience, donc rien n'est encore joué, en théorie.

Si les parlementaires sont invités à voter sur la mouture actuelle du projet de loi, ils devraient le rejeter - quitte à ce qu'il subsiste au Canada un vide juridique pendant un certain temps sur la question de l'aide médicale à mourir, estime Josh Paterson.

« Le 6 juin n'est pas un vrai mur. La seule chose qui se passe le 7 juin, c'est que l'aide médicale à mourir n'est plus un délit criminel au Canada selon les critères établis dans l'arrêt Carter c. Canada », a-t-il fait valoir.

« Ce ne sera pas une grande tragédie ni un grand problème. (...) Entre les deux options, je préfère que ce projet de loi ne reçoive pas l'approbation du gouverneur général, qu'il ne passe pas au Parlement », a poursuivi Me Paterson.

Ce n'est pas l'avis du chef néo-démocrate Thomas Mulcair, qui votera en faveur du projet de loi même si celui-ci comporte des « écueils » selon lui.

« Ce n'est pas une option. La Cour suprême a donné une extension X. Il faut rencontrer la décision de la Cour suprême », a-t-il déclaré en point de presse dans le foyer des Communes.

La meilleure façon d'éviter des contestations, a-t-il soutenu, est de demander, par renvoi, à la Cour suprême, « son opinion sur le projet de loi qui va éventuellement être adopté ».

Le député conservateur Gérard Deltell croit aussi fermement qu'il faut légiférer d'ici la date butoir. « Il faut absolument qu'une loi soit adoptée », a-t-il insisté en mêlée de presse.

« La décision de la Cour suprême s'appliquerait dans chacune des juridictions, et il y aurait un flou qui serait pire que s'il y a pas de loi », a exposé M. Deltell.

Ultimement, ce qu'il faut, c'est que le gouvernement amende son projet de loi avant son adoption, croit Lee Carter.

Autrement, le premier ministre Justin Trudeau aura renié sa promesse, prévient-elle.

« Avant l'élection, Justin Trudeau avait affirmé qu'il présenterait une mesure législative qui respecterait la Constitution et la Charte des droits et libertés », a-t-elle souligné.

« Ce n'est pas ce que nous voyons dans ce projet de loi. Nous demandons au gouvernement de respecter la décision de la Cour suprême », a tranché Mme Carter.