Les commissaires et ombudsmans responsables de la protection de la vie privée partout au pays ont de sérieuses réserves face à l'utilisation de caméras corporelles par les forces policières.

Dans un document rendu public mercredi, le commissaire fédéral à la vie privée et ses contreparties provinciales et territoriales invitent les forces de l'ordre à réfléchir soigneusement aux risques que présentent ces appareils pour la protection de la vie privée et à évaluer si les retombées attendues l'emportent sur ces risques.

«Il faut que les corps policiers, avant d'utiliser et de collecter ces enregistrements, aient déterminé quand ils les collectent, dans quelles situations ils le feront, dans quelles situations ils sont autorisés à le faire, qu'est-ce qu'ils vont faire avec, comment ces renseignements seront sécurisés et quand et comment ils seront éventuellement détruits», a indiqué le président de la Commission d'accès à l'information du Québec (CAI), Me Jean Chartier, qui est également responsable de la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

Bien que les caméras corporelles n'aient pas encore été adoptées par les corps policiers québécois, elles sont déjà utilisées ou à l'essai dans certaines villes, notamment Calgary, Edmonton, Vancouver, Toronto et Hamilton.

«Les commissaires de ces juridictions ont fait face à plusieurs questions de la part du public, qui a demandé: est-ce correct? Est-ce légal? Ont-ils le droit de me filmer? Que font-ils avec ces enregistrements? Et nous nous sommes dit que, visiblement, il fallait intervenir», a expliqué Me Chartier.

Celui-ci précise que, oui, l'usage de caméras corporelles est légal, mais que l'utilisation des renseignements qu'elles permettent de recueillir est bien encadrée par la loi et que les citoyens ont plusieurs droits à cet égard.

«Ce qu'on dit aux policiers, c'est qu'il faut s'assurer que les citoyens soient avisés qu'on va recueillir des renseignements personnels; que ces renseignements vont être sécurisés; que nos concitoyens vont pouvoir y avoir accès quand ils vont s'apercevoir qu'ils sont filmés, et qu'éventuellement ils vont être détruits quand leur utilisation ne sera plus requise.»

Il ajoute que des politiques et des procédures claires doivent être implantées car les zones grises abondent.

«Imaginez qu'un policier met la caméra en marche dès qu'il frappe à la porte d'une maison. Il entre dans des lieux privés, dans l'intimité des gens», fait valoir Me Chartier.

«Je ne suis pas très chaud à l'idée de voir un policier arriver chez moi, alors que je ne suis soupçonné de rien, avec la caméra en opération. Mais s'il sait, par exemple, qu'un individu est armé ou que c'est une scène de violence conjugale, il est probablement mieux de la mettre en marche avant d'entrer.»

Une autre part de l'équation touche les policiers eux-mêmes et leurs relations avec leur employeur.

«Les chefs de police nous disent que ces caméras vont leur permettre de voir qui sont les bons policiers et les bons citoyens et qui sont les mauvais policiers et les mauvais citoyens. On peut comprendre pourquoi ils voudraient les utiliser, mais elles sont certainement invasives du droit à la vie privée et de l'intimité des policiers eux-mêmes», note le président de la CAI.

Le document préparé par les commissaires suggère également d'inclure des précautions afin d'enregistrer le moins possible les passants non concernés ou les interactions anodines.

Fait à noter, Me Chartier souligne que les renseignements recueillis par les autorités publiques - incluant les enregistrements vidéo - sont du domaine public et peuvent, de ce fait, être consultés par tous les citoyens, incluant les journalistes. Cependant, afin de protéger le droit à la vie privée et aux renseignements personnels, tous les visages devraient alors être brouillés.

Le document des commissaires avertit qu'il faudra garder à l'oeil les progrès en la matière, puisque l'arrivée de nouvelles technologies comme la reconnaissance des visages, de plaques d'immatriculation ou de formes soulève dans chaque cas de nouvelles préoccupations qui nécessitent une étude sérieuse.