Le président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, demande à la population d'être vigilante et de surveiller les signes qui pourraient aider à identifier des «loups solitaires» dans les réseaux sociaux.

Mais peut-on vraiment reconnaître un individu dangereux sur Facebook? Nous avons posé la question à Benoit Dupont, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité et technologie et directeur du Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal.

Q

Est-ce que notre police est trop lente à réagir en ce qui a trait à la surveillance du web?

R

Je crois que les services de police sont conscients de leurs ressources limitées, mais qu'ils adoptent une position attentiste, car ils sont conscients des problèmes éthiques liés à la surveillance. Les gens réagiraient sans doute fortement si la police était très présente sur Facebook. La population considère encore les réseaux sociaux comme relevant de la sphère privée même si ce qu'on y affiche est public. Les services de police sont donc réticents à y aller de façon systématique.

Q

Pourquoi n'accorde-t-on pas davantage de moyens aux policiers?

R

La police doit acquérir des compétences dans ce domaine-là, mais si on y consacre des ressources, on doit en enlever ailleurs. Or, il faut de l'équipement puissant et très onéreux pour recueillir et analyser les données. Il faut une formation adéquate pour les policiers. Tout ça coûte cher et les résultats ne sont pas toujours évidents. Cela dit, il ne faut pas caricaturer. Avec ce qui s'est passé récemment à Ottawa, à Saint-Jean et hier matin à Montréal, cela pourrait accélérer l'adoption de nouveaux moyens.

Q

Peut-on reconnaître un individu dangereux sur le web?

R

Il n'y a ni formule magique ni connaissance scientifique qui permettent d'établir un lien entre la teneur des propos d'un individu et le risque qu'il passe à l'acte.

Et si on porte plainte au moindre signal, les policiers de Montréal ne suffiront pas à la tâche et cette surveillance va devenir contre-productive. Va-t-on arrêter les gens avant même qu'ils commettent des actes répréhensibles?

Q

Le comportement de ceux qui sont déjà passés à l'acte peut-il nous donner des indices?

R

Nous avons mené une expérience avec des représentants du gouvernement après la fusillade de Dawson. Nous avons repris les mots-clés utilisés par Kimveer Gill pour tenter d'identifier des gens à risque sur le web. Nous sommes tombés sur des blogues d'adolescentes de 13 ans qui exprimaient leur mal-être... L'expérience n'a jamais abouti, mais elle a soulevé la question du bruit sur le web. Le web est une fabrique à bruit où il est difficile de distinguer clairement les choses.

J'ajouterais que c'est facile de revenir en arrière une fois que l'individu s'est auto-identifié ou que sa famille l'a dénoncé, mais si c'était si facile, la NSA - avec ses millions et ses moyens hyper puissants - aurait pu prédire l'attentat de Boston. Or elle ne l'a pas fait. Comment voulez-vous qu'un modeste service de police réussisse?

Q

Que peut faire la police dans ce cas?

R

La police est une institution créée au XIXe siècle pour maintenir l'ordre dans un espace géographique délimité. Il faut réfléchir à la façon dont cette institution doit s'adapter à notre environnement numérique. Ce débat, nous devons le faire.