Dans la foulée de la triple évasion d'Orsainville, le ministère de la Sécurité publique vient d'appeler en renfort un haut fonctionnaire retraité qui, ironiquement, supervisait la prison de Saint-Jérôme au moment où deux détenus s'en sont brièvement évadés en hélicoptère, l'an dernier.

Le retour au bercail d'Yves Galarneau fait partie d'un remaniement à la tête des services carcéraux, rendu nécessaire par la gestion de crise chaotique du mois dernier. Il fait d'autant plus sourciller dans le milieu que ce gestionnaire se serait moqué publiquement de l'évasion de Saint-Jérôme lors de son party de retraite, où il s'est présenté... en hélicoptère.

M. Galarneau supervisait les activités de toutes les prisons de l'Ouest-du-Québec - dont Saint-Jérôme - lorsque Benjamin Hudon-Barbeau et un complice ont fui la cour de l'établissement suspendus à des filins lancés d'un hélicoptère avant d'être rattrapés dans les heures suivantes, en mars 2013.

Entrée fracassante

Quelques semaines plus tard, M. Galarneau a pris sa retraite et l'événement a été souligné par une fête à laquelle auraient été conviés plusieurs gestionnaires des services correctionnels québécois. Environ 150 personnes ont pris part à l'événement au club de golf Le Cardinal, à Laval, au printemps.

M. Galarneau a fait une entrée fracassante en arrivant sur place à bord d'un petit hélicoptère qui s'est posé entre deux verts du parcours.

Par la suite, le nouveau retraité et un autre gestionnaire auraient participé à un numéro de stand-up comique sur une scène extérieure. Selon des invités présents, qui se sont dits surpris de la légèreté avec laquelle le gestionnaire abordait la fuite, plusieurs blagues de ce spectacle étaient clairement des clins d'oeil à l'évasion ratée de Hudon-Barbeau.

«Cela a été perçu comme tel et plusieurs ont trouvé cela de très mauvais goût. C'est comme s'il avait pris toute cette affaire à la légère, sans prendre d'action. Mon impression est qu'il a tellement trouvé ça loufoque, qu'il a décidé d'atterrir en hélicoptère au club de golf Le Cardinal», a raconté à La Presse une personne présente.

Une autre source a indiqué à La Presse que le lien entre l'arrivée en hélicoptère et l'évasion ne laissait aucune place au doute.

Contacté par La Presse, M. Galarneau n'a pas voulu infirmer ou confirmer nos informations. «Je pense que la discussion qu'on a actuellement, ce n'est pas d'intérêt», a-t-il dit, avant de raccrocher.

L'attaché de presse de la ministre de la Sécurité publique a défendu M. Galarneau. Le party de départ était une surprise et le nouveau retraité ne s'attendait pas à se rendre à un événement de grande envergure en prenant place dans l'hélicoptère d'un ami pilote, a indiqué Jean-Philippe Guay. «Il s'attendait à se rendre à un souper de couple pour son anniversaire, a-t-il fait valoir. Il a eu la surprise d'arriver dans son party de retraite.»

Quant aux blagues liées à l'évasion ratée, M. Guay n'a pas confirmé leur existence, mais a rappelé qu'il s'agissait d'un événement «qui a marqué le dernier droit de sa carrière». «Est-ce qu'il y a des gens qui ont fait des blagues avec ça? C'est fort possible, a-t-il dit. C'est un événement qui est quand même inusité.»

L'affaire aurait pu être anecdotique, mais selon plusieurs sources qui gravitent autour de la sécurité publique, elle prend un tout autre sens maintenant qu'Yves Galarneau a été réembauché après l'évasion de trois détenus d'Orsainville, de nouveau en hélicoptère. M. Galarneau a un contrat pour occuper de façon intérimaire le poste de directeur adjoint des services correctionnels de la région de Montréal.

«Ce qu'on est allé chercher, c'est son expertise. Il a été 33 ans au ministère de la Sécurité publique», répond Jean-Philippe Guay. «On avait besoin d'opérationnel très rapidement.»

Chaises musicales

M. Galarneau a été rappelé au Ministère en raison d'un jeu de chaises musicales au sein de l'équipe de gestionnaires des prisons.

Selon nos sources, Élaine Raza, qui remplaçait la sous-ministre associée aux services correctionnels Johanne Beausoleil partie en congé de maladie, aurait été «tassée» moins d'une semaine après la triple évasion d'Orsainville.

Mme Raza a été remplacée le 16 juin par le directeur général adjoint de la région de Montréal, Marc Lyrette, a confirmé à La Presse le ministère de la Sécurité publique. Et M. Lyrette a été remplacé par M. Galarneau, tiré de sa retraite.

Toujours selon nos sources, le déplacement de Mme Raza ne serait pas étranger à la gestion de la crise qui a éclaté après l'évasion. La ministre Lise Thériault avait affirmé recevoir des informations fausses et se voir imposer des délais déraisonnables de la part de l'appareil public. En entrevue radiophonique, elle a même déploré qu'on lui ait menti dans les jours suivant l'évasion.

Clément Falardeau, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, affirme que le déplacement d'Élaine Raza n'a rien à voir avec la gestion de la crise.

«Mme Beausoleil devait revenir le 15 juin de sa convalescence. Sa convalescence se prolongeant, Marc Lyrette a pris le relais, tout simplement», a-t-il dit. «Faire un intérim, c'est du travail qui s'accumule en plus des tâches normales. Alors c'est normal qu'il y ait une rotation.»

Nos sources déplorent que rien n'ait été fait en 15 mois dans les 19 établissements carcéraux du Québec pour prévenir toute tentative d'évasion par hélicoptère et se demandent quels sont les résultats et recommandations d'une enquête administrative réalisée après les événements de mars 2013 et dont ils n'ont plus entendu parler.

Le syndicat des agents en services correctionnels n'a pas voulu commenter cette affaire.