Un maire. Le grand argentier des Hells Angels. Un militant conservateur. Un groupe d'entrepreneurs en coffrage qui tient des réunions secrètes. Et des millions de dollars qui ont transité par des bureaux de change pour échapper au fisc. Dans des extraits de documents judiciaires rendus publics mercredi, la Sûreté du Québec lève le voile sur les contacts aussi variés que précieux dont jouissait le gang de Normand Dubois, une puissante organisation criminelle accusée d'avoir contrôlé un système de fausses factures et de travail au noir dans l'industrie de la construction. La Presse vous offre un portrait en cinq temps des ramifications mises à jour par le Projet Garrot.

Un stratagème bien huilé

La Sûreté du Québec (SQ) a mis en branle le projet Garrot en avril 2010 après avoir été alertée par Revenu Québec. Le fisc avait enquêté sur 25 entreprises, principalement actives dans l'industrie du coffrage, avant d'émettre des avis de cotisation de 20 millions pour impôts impayés. Plusieurs entreprises avaient aussi été identifiées comme des coquilles vides servant à fournir de fausses factures à de vrais entrepreneurs en construction pour frauder le fisc, ou à leur louer de la main-d'oeuvre payée au noir. En à peine six ans, des transactions de 18 millions de dollars avaient été détectées dans des centres d'encaissement de chèques qui fournissaient les liquidités nécessaires. Les coquilles étaient dirigées par des prête-noms souvent sans le sou. Elles avaient une durée de vie moyenne d'un an ou deux. Si le gouvernement s'intéressait trop à elles, elles fermaient leurs portes et disparaissaient, avant de reprendre leurs activités frauduleuses sous un autre nom.

Un chef

qui roule sur l'or


L'enquête de la SQ montre à quel point Normand Dubois, roulait sur l'or. Il habitait un vaste domaine au sommet d'une colline à Saint-Joseph-du-Lac, dans les Laurentides. Sa famille y vivait, mais on y trouvait aussi les bureaux de l'entreprise de construction de sa fille, coaccusée avec lui, ceux de certaines «coquilles vides» du gang, ainsi que des garages pour la machinerie, un verger et une érablière avec cabane à sucre. Dubois, qui est notamment accusé de gangstérisme, complot et fraude, se déplaçait en véhicule de luxe. Un hélicoptère a souvent été aperçu dans son entourage.

Une industrie infiltrée

Le nom de certaines entreprises ayant bénéficié du système qui aurait été mis en place par Dubois est toujours frappé d'un interdit de publication, mais il est permis de dire que la SQ considère que Pompage Méga, Cordev, Construction Attila, Coffrage Magma, Grillage Bolar, Cosoltec et Rénovation GES ont été «accommodées» par l'organisation. Ces entreprises et leurs dirigeants n'ont fait l'objet d'aucune accusation et le fait qu'elles soient identifiées dans les documents relatifs à la perquisition ne constitue pas preuve qu'ils ont commis une infraction criminelle. Lors d'une des filatures réalisées par la SQ, les policiers se sont par ailleurs rendus incognito dans un restaurant. Un serveur leur a mentionné que des entreprises de coffrages étaient réunies dans une salle à part de l'établissement, une salle qu'ils réservaient souvent afin de ne pas être dérangés et surtout ne pas être vus. Une source codée rencontrée pendant l'enquête a confié aux enquêteurs que lorsqu'un entrepreneur refusait de faire affaire avec le réseau, il était victime d'intimidation et de nombreuses visites, par les représentants de la Commission de la construction du Québec, de la CSST et de la FTQ, qui demandaient à voir les cartes de compétences et retardaient les travaux.

Un maire à la table du grand argentier des Hells

Alors qu'ils suivaient discrètement leur cible Normand Dubois, les policiers l'ont vu s'installer à la terrasse d'un restaurant de Boisbriand avec Alain Guindon, maire de Saint-Joseph-du-Lac, et Charles Huneault, un associé des Hells Angels considéré comme le «grand argentier» du club de motards. Normand Dubois s'est rendu 16 fois chez le maire Guindon alors qu'un dispositif émetteur avait été caché par la police dans sa Mercedes. Certains éléments liés à la rencontre au restaurant sont toujours frappés d'un interdit de publication. Alain Guindon, qui ne s'est pas représenté au scrutin du 3 novembre dernier après 14 ans de règne, n'a pas rappelé La Presse hier.

Un militant conservateur controversé

Normand Dubois a aussi été vu par la police alors qu'il rencontrait discrètement dans un stationnement le militant conservateur de longue date Gilles Varin. Dubois se trouvait dans le véhicule de Varin pour une discussion. L'entrepreneur Paul Sauvé a affirmé devant un comité parlementaire qu'il avait versé 140 000$ à ce dernier pour obtenir un contrat du fédéral. Varin, qui est mort en 2011, avait nié avoir fait du lobbyisme. Selon l'agence QMI, la SQ a mené une longue enquête sur Varin à cause de ses liens avec le Hells Angels Normand Casper Ouimet.