Un groupe d'occupants des lofts Moreau et leurs sympathisants, réclamant plus de logements sociaux et un frein à l'embourgeoisement d'Hochelaga-Maisonneuve, ont été évincés du terrain qu'ils occupaient depuis le week-end.

Ces lofts sont situés dans un grand bâtiment industriel au 2019, rue Moreau. Il s'agit d'un immeuble renfermant des dizaines de lofts d'artistes et zoné commercial. En clair, il est interdit d'y habiter à temps plein, sauf pour les artistes travaillant sur place, détenant un certificat d'autorisation commerciale, qui peuvent utiliser le tiers de la superficie de leur espace pour se loger.

Au mois de mai, des inspecteurs de l'arrondissement ont visité l'immeuble et ont constaté qu'ils se trouvait dans un état de délabrement avancé.

Plafond qui fuit, ascenseurs non fonctionnels, sorties de secours cadenassés. Un avis d'éviction a alors été envoyé aux résidants.

« À la suite d'une vérification effectuée le 14 mai 2013, nous vous avisons que le local mentionné en titre peut porter atteinte à la santé ou à la sécurité des résidants ou du public. Il contrevient aux exigences de plusieurs règlements », mentionnait cet avis.

Ceux qui résidaient sur les lieux sans y travailler étaient sommés de quitter les lieux avant le 3 septembre. À cette date, seuls ceux détenant un certificat d'occupation commercial seraient tolérés, lisait-on encore, mardi.

Pour marquer leur désaccord et réclamer la construction de plus de logements sociaux, ils ont érigé le week-end dernier un campement sur le terrain vague adjacent à l'immeuble, sur la rue Ontario, et qui appartient aussi, comme le bâtiment, à Vito Papasodaro.

Comme leurs banderoles à l'entrée du campement l'expriment sans détours, les campeurs fulminent contre Papasodaro, qu'ils accusent d'avoir complètement abandonné son obligation de maintenir en bon état l'immeuble, le laissant décrépir. Quant à l'administration municipale, ils l'accusent d'avoir fermé les yeux sur cette situation.

Un artiste qui réside dans la bâtisse confie qu'il est connu de tous depuis longtemps que l'immeuble était habité d'une manière qui contrevient à la réglementation, mais cela a toujours été toléré, jusqu'à ce que le mauvais état des lieux mène à la situation actuelle.

Sur place, les manifestants affichaient par contre une certaine hostilité à l'égard des médias désirant les questionner sur leurs revendications.

Ils craignent que le propriétaire bénéficie de cette situation pour transformer l'immeuble en appartements plus luxueux qui ne seront pas abordables aux citoyens et artistes plus défavorisés du quartier. C'est ce qu'ils appellent la «gentrification».

Ce vendredi matin, Vito Papasodaro en a eu assez. Il a contacté la police de Montréal pour l'accompagner au cas où les occupants n'obtempéreraient pas à sa requête.

« Je suis le propriétaire paisible des lieux. Je vous demande de quitter paisiblement les lieux sinon je vais vous faire expulser », a-t-il annoncé au mégaphone, suscitant les applaudissements des campeurs.

La présence policière était massive, et les manifestants ont choisi de plier bagage.

Ils ont toutefois répliqué avec leur propre mégaphone.

« Il y a ici des sculpteurs, danseurs, peintres, marionnettistes qui dénoncent 20 ans de négligence des propriétaires et des autorités. Nous demandons une modification de la vocation de l'immeuble en coopérative d'artistes et en logement social, pour stopper la gentrification. (...) Les conditions dans lesquelles les lofts ont été maintenus auraient pu causer la mort des résidants », a martelé l'orateur.

Ils ont récupéré du matériel, laissant sur place de vieux meubles, une banquette de restaurant, et le chapiteau qu'ils avaient construit. Le tout a été démoli et chargé dans des camions d'ordures. Pendant ce temps, sur Ontario à l'est, quelques échauffourées ont éclaté entre un petit groupe de partisans des manifestants et des policiers qui tentaient de les empêcher de joindre le groupe.

En entrevue avec La Presse il y a quelques semaines, Vito Papasodaro a indiqué vouloir retaper l'immeuble sans changer sa vocation, mais a admis qu'une restauration mènerait à des loyers plus chers. Il refusait de dire que cette situation lui bénéficiait, en mettant à la porte des locataires qui lui sont indésirables, comme lui reprochent les protestataires.

« C'est à la ville de faire appliquer ses règlements, je n'ai rien à voir là-dedans. Il y a des changements à venir. Je vais structurer la bâtisse, changer les fenêtres, réparer la brique, nettoyer les murs, et je vais choisir un peu mieux les locataires. Il y en a qui sont un peu spéciaux. Je veux une qualité de locataires. Ces gens ne pourront plus faire comme dans leurs habitudes et écrire sur les murs. Il va y avoir un gardien de sécurité. Au fur et à mesure ils vont partir », expliquait-il.

Des propos qui font bondir Jonathan Aspireault-Massé, coordonnateur du comité BAILS-Hochelaga-Maisonneuve.

«Déjà en 1997, la ville soulignait les problèmes qui viennent d'être invoqués pour évincer les locataires. En 2012, la ville a fait parvenir à Papasodaro un avis comme quoi il devait faire plusieurs correctifs. Il n'a jamais rien fait. Ce n'est pas la faute des locataires si l'état du bâtiment a empiré. Il n'aime peut-être pas les graffitis, et ça, oui, ce sont les locataires qui les font. Mais quand on trouve des souris mortes, ça ce n'est pas la faute des locataires. Ce sont même souvent eux qui ont fait ce qu'il fallait pour que ça soit vivable dans l'immeuble», fulmine-t-il.

Papasodaro est un important propriétaire d'immeubles à Montréal et a déjà fait des dons aux partis politiques municipaux de Louise Harel et Gérald Tremblay. Il s'est notamment fait connaître lors d'un épisode similaire à celui des lofts Moreau, soit celui de l'Usine Grover, sur Parthenais. Il a transformé la vieille usine en lofts d'artistes modernes, mais au loyer beaucoup plus élevé. Il possède aussi de petits immeubles de quelques logements adjacents aux lofts Moreau, eux aussi en mauvais état. À Montréal-Nord, il est propriétaire d'un grand immeuble à logements, rue d'Amiens. Entretenu correctement, à l'exception d'une piscine extérieure laissée à l'abandon il y a quelques années. De la végétation y pousse et les déchets s'y amoncèlent. Aussi, sur le boulevard Henri-Bourassa, un de ses immeubles, une ancienne résidence pour personnes âgées désaffectées, est à vendre pour 2,8 millions $, près de 900 000 $ plus cher que son évaluation municipale.