«Un cellulaire au volant?!? Pas du tout, il s'agissait d'une galette de riz votre honneur». «Prendre un raccourci par la station-service? Non, non, madame la juge, j'ai voulu aller mettre de l'essence, avant de réaliser que j'avais oublié mon portefeuille.» «Rouler à 80 km/h dans une zone de 50? Moi? Jamais de la vie, monsieur le juge! Le policier a dû me confondre avec un autre véhicule.»

Chaque année, plusieurs dizaines de milliers d'automobilistes contestent leurs constats d'infraction devant la Cour municipale, la plupart pour des entorses au Code de la sécurité routière.

Leur mission: être assez convaincants pour soulever un doute dans la tête des juges.

Ils plaident dans les salles d'audience de la Cour municipale, rue Gosford, ou celles des quatre points de services éparpillés dans la métropole. La Presse a passé quelques jours dans ces tribunaux des petites causes, en quête des meilleures excuses.

Premier constat: les citoyens qui font face à la justice se livrent à une sorte de loterie où le hasard vous conduit parfois devant certains juges qui ont la réputation d'acquitter systématiquement et d'autres qui condamnent sans vergogne.

Une femme qui plaide son innocence en tremblant comme une feuille, des familles qui assistent aux audiences pour soutenir un proche qui conteste une simple contravention, des agents de sécurité qui passent leurs journées à répéter les mêmes consignes - ne pas parler, fermer les cellulaires, ne pas croiser des jambes (?!): ces tribunaux sont le théâtre de scènes quotidiennes surprenantes pour les néophytes, mais un éternel recommencement pour ses acteurs.

Même s'ils prêtent serment en levant la main droite, plusieurs plaideurs d'un jour ont une imagination fertile: l'ambulance avec ses sirènes qui vous force à tourner à gauche, le policier qui a confondu votre véhicule avec un autre, sans oublier l'urgente envie d'uriner.

D'entrée de jeu, les contraventions pour excès de vitesse sont presque impossibles à contester, puisque les juges ont sous la main les résultats des radars, une méthode plutôt infaillible.

Le dossier chaud de l'heure: le cellulaire au volant. Les trois points d'inaptitude qu'il en coûte pour cette faute sont à la source de plusieurs dossiers, ont fait remarquer plusieurs procureurs, greffiers et agents de sécurité des tribunaux visités. Une tendance qui ne risque pas de se renverser, surtout si le gouvernement décide de donner suite aux recommandations récentes d'un coroner en faveur de sanctions plus musclées pour les cellulaires au volant.

Plusieurs ont rapporté l'histoire de cet homme qui a plaidé le plus sérieusement avoir conduit avec une banane et non un cellulaire. «L'homme avait même traîné une banane avec lui en cour, comme pièce à conviction», raconte l'agent de sécurité témoin de cette scène surréaliste. Des confusions avec des rasoirs et magnétophones sont aussi régulièrement évoquées.

Dans d'autres cas moins loufoques, le juge doit trancher entre des versions totalement contradictoires d'un même événement. Comme ce cas, où un policier rapporte - dans son rapport extrêmement précis - avoir suivi une jeune femme de 23 ans sur une bonne distance. Il dit l'avoir vue faire un excès de vitesse, brûler un feu rouge et un arrêt obligatoire avant de se garer devant chez elle. Le policier, indulgent, décide de lui donner une seule contravention pour la dernière infraction. Mais devant la cour, l'automobiliste, agressive, accuse le policier d'avoir tout inventé, ce qui a fait grimacer la juge. «La Loi veut que je vous acquitte si je crois votre défense ou si j'ai un doute. Dans votre cas, je ne vous crois pas et n'ai aucun doute sur votre culpabilité», tranche la juge.

Rien n'est gagné d'avance

À en croire les statistiques fournies par la Ville, une contestation est d'ailleurs tout sauf gagnée d'avance. En effet, quelque 18 % des 81 287 contraventions contestées en 2012 - soit 19 508 dossiers - ont mené à un acquittement. Au total, seulement 1 % des 1 839 090 constats émis en 2012 ont été annulés par un acquittement. Ces statistiques sont pratiquement les mêmes pour l'année 2011.

Mais, à en juger par notre coup de sonde sur le terrain, ça vaut parfois la peine de tenter sa chance.

Avertissement

Les illustrations qui accompagnent ce reportage ne sont pas des reproductions des situations réelles décrites par notre journaliste, mais d'autres scènes de la Cour municipale croquées par le dessinateur Mike McLaughlin.

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CELLULAIRE STORY

Le camionneur de 24 ans ne peut pas perdre cette cause. Il est à trois points de perdre son permis, exactement le nombre de points en jeu. Le juge lui suggère même de reporter le procès et de faire appel à un avocat. L'automobiliste refuse. Sa défense est béton de toute façon: ce jour-là, ce n'est pas un cellulaire qu'il tenait contre son oreille, mais une galette de riz à saveur de tomate. «Le policier a dit m'avoir vu parler au cellulaire. Je ne parlais pas, je mâchais », plaide le jeune camionneur, qui risque de perdre sa classe de conducteur de poids lourd. «Votre témoignage me paraît invraisemblable, je suis convaincu que vous parliez au cellulaire», conclut le juge. Le jeune homme baisse la tête.

«LA POLICE ME FAIT PEUR»

Le piéton de 51 ans traversait la rue sur un feu rouge lorsque les policiers l'ont intercepté à l'angle de la rue Pierre-de-Coubertin et du boulevard Pie-IX. Le défendeur a toutefois pris ses jambes à son coup lorsque les policiers tentaient d'aller lui remettre sa contravention. «J'ai peur de la police et tous ces gens de pouvoir. J'ai peur d'eux à cause des traitements que j'ai subis en Syrie où j'ai vécu 40 ans de ma vie», explique l'homme au juge un peu décontenancé devant la tournure dramatique que prend une simple entorse au Code de la sécurité routière. «Ce jour-là, la guerre venait d'éclater en Syrie, j'étais sous le choc», ajoute-t-il. Mais sa défense, quoiqu'émotive, ne soulève aucun doute raisonnable dans la tête du juge, qui le déclare coupable.

MANQUE D'ESSENCE

Le jeune homme roule rue Saint-Jacques, emprunte le stationnement d'une station-service pour éviter le feu rouge à l'intersection, réalise avoir oublié son portefeuille pour faire le plein et poursuit sa route candidement. Un policier aux aguets a malheureusement contrecarré le succès de ce crime bon enfant. La juge ne croit en rien la version du défendeur, qui jure avoir eu l'intention de mettre de l'essence. Il demeure évasif sur l'intersection et même sur l'adresse de sa copine, où il se rendait apparemment.

Avez-vous fait le plein plus tard? demande la juge.

Oui, assure le jeune homme.

Avez-vous un reçu?

Non, je l'ai perdu.

La procureure et le juge sont formels : la défense de monsieur n'est pas crédible.

LES PREUVES S'ENVOLENT EN FUMÉE

L'homme se dit victime d'une erreur. Il n'a pu voir la pancarte lui interdisant de garer sa voiture sur la rue, puisqu'elle était vandalisée. Il a même pris des photos pour le prouver. Le hic, c'est que ces preuves ont été détruites dans l'incendie de sa maison. La pancarte vandalisée a aussi été remplacée par la Ville. Le juge décide de ne pas en rajouter une couche aux malheurs du pauvre homme de 44 ans et l'acquitte. «Je n'ai pas de raisons de rejeter votre témoignage, il soulève un doute», tranche le magistrat.

«BONNE FÊTE...»

«Votre nom et date de fête», demande le greffier à l'automobiliste. «15 mai 1989», répond-elle avec aplomb. «Bonne fête!», réplique le greffier, sourire en coin. La jeune femme plaide s'être fait arrêter par erreur pour excès de vitesse en allant reconduire son fils à la garderie. On lui reproche d'avoir roulé à 80 dans une zone de 50. «C'est impossible, je suis une conductrice super prudente!», lance-t-elle sans apporter d'autres faits. Le juge n'en croit rien et la condamne à payer la totalité de son amende, incluant les frais. «Bonne fête...», ironise à voix haute l'automobiliste en fusillant le juge du regard avant de quitter la salle.

LA MANIFESTATION

Les manifestations étudiantes battaient leur plein. Par le rétroviseur de sa voiture, l'automobiliste de 24 ans voyait la marée humaine avancer vers lui à l'angle des rues Mont-Royal et Resther. Coincé dans un bouchon, immobile au milieu de la chaussée, il dit avoir senti la panique monter. Sans faire ni une ni deux, il a grimpé sur le trottoir avec sa voiture, pour dégager du secteur en empruntant la ruelle. «Ma voiture a déjà été vandalisée deux fois par les étudiants», explique-t-il au juge, qui l'acquitte.