Qu'ils soient anticapitalistes, étudiants pour la gratuité scolaire ou parents d'écoliers du primaire, tous les manifestants à Montréal doivent fournir leur itinéraire à la police. Des parents qui demandent une meilleure sécurité autour de l'école de leurs enfants l'ont appris à leurs dépens ce jeudi matin.

La manifestation regroupait au plus une centaine de parents et d'enfants de l'école primaire Saint-Pierre-Claver, à l'angle du boulevard Saint-Joseph et de l'avenue De Lorimier, au Plateau-Mont-Royal.

Les revendications du groupe sont simples et ne datent pas d'hier.

«Il s'agit de deux artères très passantes, à quatre voies, où les automobilistes roulent vite et commettent beaucoup d'infractions. Ils arrêtent sur les traverses piétonnières, passent au rouge, roulent vite. On réclame une diminution de la limite de vitesse à 30 km/h et des mesures pour améliorer la sécurité des enfants, comme une meilleure signalisation. Nous militons pour cela depuis longtemps», raconte Élise Grenier, ancienne présidente du conseil d'établissement de l'école.

«Il n'y a pas que la vitesse qui soit problématique. Il y a toutes sortes de mesures qu'on aimerait que la Ville mette en place pour améliorer la sécurité. Rare sont les écoles qui sont non pas sur une, mais deux artères. Il pourrait y avoir des pots à fleurs entre le trottoir et la rue. On aimerait aussi que l'avenue des Érables, de l'autre côté de l'école, change de sens et qu'un feu y soit installé au coin de Saint-Joseph. Comme ça, les élèves pourraient passer par la rue Des Érables plutôt que De Lorimier pour venir à l'école et en repartir», renchérit la directrice de l'école, Lucie Perelman.

Encore le 18 avril, une fillette a été happée par une voiture alors qu'elle courait dans la rue pour rattraper un ballon. Heureusement, elle s'en est tirée avec seulement un bras cassé et quelques ecchymoses. Mais c'est la goutte qui a fait déborder le vase.

«Nous avons décidé de nous servir de cet événement comme levier pour mobiliser les parents, et sensibiliser les automobilistes. Nous avons décidé d'organiser une manifestation ce matin», explique Marianne Giguère, co-porte-parole du comité de sécurité de l'école.

Dimanche, un atelier de fabrication de pancartes a même été organisé pour préparer la manifestation.

«Nous avons informé l'agente sociocommunautaire de la police de quartier de la tenue de la manifestation. Ça s'est fait de manière informelle, on lui a dit qu'on allait traverser la rue d'un côté à l'autre, en respectant la signalisation, sans entraver circulation. On n'a pas fait de plan écrit», indique la directrice Perelman.

Ainsi, vers 7h30, une centaine de parents, avec leurs enfants, se sont réunis à l'angle des deux artères pour manifester. L'agente sociocommunautaire, bien connue dans l'école, était présente.

Le groupe faisait le tour de l'intersection, traversant au feu vert seulement, sans obstruer la circulation. Casseroles et autres instruments se faisaient entendre. Une animatrice munie d'un mégaphone félicitait les automobilistes qui se comportaient bien.

Mais un policier a jugé que la chose était illégale et a déclaré aux manifestants que, en vertu «du nouveau règlement», s'ils voulaient se déplacer, ils devaient «fournir un itinéraire» à la police, faute de quoi ils devaient manifester en bordure de la rue sans obstruer le trottoir. Le règlement P6 n'aurait pas été mentionné, mais tous les manifestants ont fait le lien entre l'affirmation du policier et le fameux règlement municipal.

«Pendant l'organisation, quelqu'un du groupe avait à la blague dit que nous devrions fournir un itinéraire aux policiers pour nous conformer au règlement P6. Tout le monde a trouvé ça drôle. Mais notre action a bien été arrêtée en vertu de P6», affirme sans détour Mme Giguère.

Presque tout le groupe a obtempéré à la demande du policier et a cessé de se déplacer dans l'intersection. 

«Moi, j'ai décidé de continuer à marcher, mais le policier m'a dit d'arrêter. Je lui ai dit que nous n'avions pas de masque, qu'on respectait les feux de circulation. Il m'a dit qu'il fallait alors fournir un itinéraire. Je lui ai fait remarquer qu'on ne faisait que tourner sur les quatre coins de rue», raconte Mme Grenier.

Le ton a légèrement monté quand un participant a continué à marcher, avec une tige de styromousse du type dont on se sert pour isoler des tuyaux, et donnait de petits coups sur le capot des voitures qui empiétaient sur les traverses piétonnes ou faisaient de l'interblocage.

Le même policier lui a confisqué l'objet. «Vous saisissez mon outil de manifestation. Avez-vous un mandat?», a-t-il raillé.

Les esprits se sont ensuite calmés et les élèves sont rentrés en classe.

À la police de Montréal, on refuse de faire un lien entre l'intervention du policier et le règlement P6.

«Bien avant P6, on demandait aux manifestants s'ils avaient un itinéraire à nous fournir. Et de toute façon, si les policiers présents avaient voulu appliquer P6, ils n'auraient pas pu, puisque la décision d'appliquer le règlement se prend au niveau du commandement», explique le commandant Ian Lafrenière, de la police de Montréal.

«À cette heure, à cet endroit, la rue n'est pas forcément le meilleur endroit pour manifester avec des enfants. Notre travail, c'est de s'assurer de la sécurité des gens. C'est super que ces parents manifestent pour cette cause, mais ils étaient plus en sécurité sur le terrain de l'école» a poursuivi le commandant.

La directrice de l'école reconnaît que les manifestants peuvent avoir en partie obstrué les trottoirs, mais que l'entrave était bien mineure.

«Tout s'est fait avec beaucoup de gaieté, dans le respect de la signalisation. Ça ne me semblait pas si grave, notre itinéraire était assez facile à comprendre», dit-elle.

Quant aux demandes relatives à la limitation de la vitesse, les manifestants auront du mal à obtenir satisfaction.

«Dans le cas d'artères comme celles-là, l'arrondissement doit faire une demande à la Ville centre pour que soit modifiée la limite de vitesse. La Ville doit ensuite demander l'autorisation à Québec. Et ça ne peut être ponctuel, il faut que ça soit fait pour l'ensemble du territoire. La balle est donc dans le camp de Québec», conclut Marianne Giguère.

Lucie Perelman rappelle toutefois que si les artères relèvent de la Ville, les modifications demandées au sujet de l'avenue des Érables peuvent être faites par l'arrondissement.

«On ne veut pas un changement dans deux ans. Ça doit se faire maintenant», conclut-elle.