Le procès de Johra Kaleki, accusée d'avoir tenté de tuer sa fille aînée le 13 juin 2010, se déroule depuis la semaine dernière à Montréal. Le jour du drame, la femme d'origine afghane a fait une déclaration de quatre heures à la police. Aujourd'hui, Mme Kaleki, 40 ans, affirme qu'elle ne se souvient ni du drame, ni de cette déclaration. La victime, Bahar, a pour sa part fait deux déclarations. Comme elles sont versées au dossier et que la jeune femme ne viendra pas témoigner au procès de sa mère, voici un résumé de ce qu'elle a dit.

Le 13 juin 2010, Johra Kaleki, fâchée que sa fille de 19 ans rentre à l'aube, a dit à son mari de monter à l'étage et qu'elle s'occuperait de Bahar. Elle a ensuite demandé à sa fille de s'étendre sur le canapé du sous-sol, en insistant pour qu'elle se place sur le ventre, les bras en croix, et qu'elle regarde le plancher. Bahar a obéi. Peu après, la jeune femme a senti quelque chose pénétrer dans son dos et dans son crâne.

«J'ai entendu comme un "cric", puis je voyais tout en noir. J'ai senti quelque chose couler. Elle me tenait en place, puis là, elle me frappait, me frappait, puis elle me frappait et je savais que j'allais mourir. Je pensais: "J'ai même pas 20 ans, je suis en train de mourir et c'est ma mère qui va me tuer."»

C'est notamment ce que Bahar Ebrahimi a raconté le 22 juin 2010 à Alexandre Bertrand, enquêteur de la police de Montréal. Elle était toujours à l'hôpital, neuf jours après avoir été poignardée à plusieurs reprises dans la maison familiale, à Dorval.

Lors de cet interrogatoire, Bahar a abondamment parlé de sa vie et de ses désirs de liberté, qui se heurtaient aux règles strictes imposées par ses parents. Originaire de l'Afghanistan, le couple était établi au Canada depuis 13 ans à ce moment. Il a quatre filles. Bahar, l'aînée, voulait aller dans les bars avec ses amies, fumer, boire, sortir avec les garçons, se maquiller, se parfumer et s'habiller à sa guise. Elle le faisait de plus en plus, ce qui courrouçait ses parents. «Tu sais, je suis ici, mais on dirait qu'ils [les parents] ont amené un morceau de leur propre nationalité, leur propre pays avec eux. Toutes les petites traditions de notre pays d'origine, on les pratique ici encore», a signalé Bahar.

La jeune femme a aussi raconté en détail, ce jour-là, l'agression qui lui aurait sans doute coûté la vie sans l'intervention in extremis de son père. Bahar a reçu des coups de couteau à la tête, au cou, aux épaules et aux doigts, car elle a tenté de se protéger en mettant ses mains sur sa tête. Bahar a parlé de la «colère» de sa mère lors de l'attaque.

Au moment de cette déclaration, elle n'avait pas revu sa mère et a indiqué qu'elle ne voulait pas la voir. Elle faisait des cauchemars dans lesquels elle revivait l'agression, mais elle a affirmé qu'elle adorait quand même sa mère.

«C'était de la colère. C'était fou mental. Ses yeux étaient gros. C'était la colère qui me faisait vraiment peur. C'était pas colère colère, c'était colère comme fou», a expliqué Bahar.

Questionnée par l'enquêteur sur la santé de sa mère, Bahar a indiqué que Mme Kaleki n'a jamais été suivie en psychiatrie et qu'elle ne prenait aucun médicament. La jeune fille n'a mentionné aucun problème physique. Elle a décrit sa mère comme une femme habituellement douce. Bahar se sentait un peu coupable et pensait qu'elle avait poussé sa mère à bout.

«J'ai trop commis de conneries. Sortir vendredi et samedi... Elle savait que je fumais. Je me suis sentie un peu coupable, parce que je me suis dit que si je n'existais pas, ç'aurait été plus facile. Si je n'étais pas un pain in the ass (une emmerdeuse, NDLR)», a raconté Bahar.

Interrogatoire du 13 janvier 2012 devant le tribunal

Mère et fille se voient tous les jours depuis que Mme Kaleki a été mise en liberté, en août 2010. Bahar s'est mariée à l'été 2011. C'est sa mère qui a organisé le mariage, a précisé la jeune femme.

«Ma relation avec ma mère est redevenue comme avant, peut-être même meilleure», a indiqué Bahar. Elle a affirmé que sa mère était patiente, chaleureuse, et qu'elle ne pourrait «faire de mal même à une mouche».

Interrogée par l'avocate de sa mère, Bahar a dû décrire cette dernière pendant l'agression. Cette fois, elle a tracé le portrait d'une femme presque possédée. Bahar a raconté qu'en plus des gros yeux, sa mère parlait vite, disait des choses qui n'avaient aucun sens, dans différentes langues. Elle avait une voix rauque et effrayante, ses sourcils étaient en l'air, sa tête bougeait beaucoup, elle se frottait les mains et se convulsait même. Sa mère était presque comme un animal et ne semblait plus humaine, a précisé la jeune femme. Bahar a ajouté que sa mère était sujette aux migraines à l'époque et qu'elle semblait très fatiguée avant le drame.

«Laissez-moi finir le travail»

Alerté par les cris de Bahar, son père est accouru au sous-sol pour sauver sa fille. Il a eu beaucoup de mal à maîtriser sa femme. Mme Kaleki criait qu'elle voulait finir le travail, c'est-à-dire tuer Bahar. Johra Kaleki a répété ces paroles en présence des policiers qui l'ont arrêtée. La procureure de la Couronne, Anne Gauvin, souhaite mettre ces déclarations en preuve. L'avocate de la défense, Isabel Schurman, s'y oppose.

La Couronne pense que Mme Kaleki a agi sous l'emprise de la colère, alors qu'on voit poindre à l'horizon une défense de non-responsabilité pour cause de trouble mental. La psychiatre Dominique Bourget, qui a signé le diagnostic de non-responsabilité de Guy Turcotte, viendra donner son avis sur Mme Kaleki. Mais avant d'en arriver à cet aspect du dossier, la Couronne doit prouver que les déclarations de Mme Kaleki ont été faites de façon libre et volontaire, et qu'elle avait un esprit conscient - ce que la défense conteste.

Le procès de Mme Kaleki doit reprendre demain.