C'est la saison de la récolte des plants de marijuana dissimulés sur les terres agricoles. Cette culture illicite prend parfois les cultivateurs en otages et peut mener à la violence. Un homme l'a récemment appris à ses dépens: il a été abattu dans un champ de maïs, à Mascouche, vraisemblablement lors d'une tentative de vol. Du côté policier, l'opération Cisaille, qui consiste à éradiquer chaque année des centaines de milliers de plants de marijuana, bat son plein. Ces efforts sont-ils vains? Difficile de ne pas être pessimiste après avoir survolé le Centre-du-Québec à bord d'un petit avion nolisé, en compagnie d'un policier à la retraite. En deux heures de vol, nous avons facilement repéré une dizaine de plantations.

Le Cessna vient à peine de décoller. Il survole un petit rectangle découpé de manière presque chirurgicale, perdu au fond d'un champ de maïs. Des plants de marijuana matures et touffus s'élèvent dans ce rectangle, qui couvre environ la superficie d'une piscine creusée.

Notre pilote fait une boucle au-dessus de la zone, tout en se maintenant à une altitude de plus de 1000 pieds dans le ciel nuageux afin que nul ne puisse reconnaître son appareil. Celui d'un de ses camarades pilotes a déjà été incendié sur le tarmac d'un petit aéroport.

Les «mariculteurs» n'apprécient guère le passage des avions à basse altitude au-dessus de leurs plantations.

Mais cela n'empêche pas les pilotes d'être des témoins privilégiés.

La Gendarmerie royale du Canada le sait et a distribué des brochures dans les petits aéroports et les écoles de pilotage de la province.

«Sauriez-vous reconnaître une installation de culture de marijuana?», peut-on lire en tête du dépliant, qui explique comment reconnaître les plants et donne des coordonnées pour les signaler.

Moins de cinq minutes plus tard, nous survolons une deuxième enclave rectangulaire remplie de cannabis, cette fois près du village de Saint-Bonaventure.

Quelques kilomètres plus loin, une autre plantation prospère tranquillement à l'orée d'un bois, au bout d'une ferme de Pierreville, très loin de la route et des bâtiments agricoles.

Notre policier retraité reconnaît hors de tout doute la marijuana, qui forme une mince bande verte en bordure des arbres. Le pilote n'est pas surpris. «On en voit de plus en plus à la lisière des forêts. C'est plus difficile à cultiver, mais en les mariculteurs sont cependant mieux cachés pour garder leurs récoltes», explique-t-il.

Les champs de soya sont également prisés par les trafiquants, puisque les plants s'y fondent mieux que dans le maïs, précise le pilote.

Un peu plus loin, le Cessna longe le fleuve Saint-Laurent. Les terres agricoles de tailles et de couleurs différentes s'emboîtent comme une courtepointe. Trois autres plantations, découpées côte à côte, détonnent dans ce sol uniforme.

En volant vers Nicolet, on débouche près de l'École nationale de police.

Aucune trace de plantation clandestine en vue sur le terrain avoisinant, dans lequel s'active une moissonneuse-batteuse qui ressemble à un jouet du haut des airs.

Près de Saint-Wenceslas, le paysage est majestueux. La rivière Bécancour serpente au milieu des terres.

Une averse tombe. Les gouttes de pluie s'écrasent avec fracas sur la carlingue de l'appareil.

En banlieue de Victoriaville, le festival des piscines hors terre voisine une mer de sapins qui s'étend à perte de vue. Là encore, trois rectangles de plants de pot sont alignés. Plusieurs petites cabanes et constructions en bois sont aménagées en périphérie. «Ça peut servir de mirador aux chasseurs ou de campements aux gardiens des plants», selon l'ancien policier.

Le Cessna se prépare à retourner sur la terre ferme, après avoir survolé un territoire d'environ 260 km en deux heures.

Bilan: une dizaine de plantations découvertes sans ressources, sans outils technologiques, rien qu'en survolant les champs à bord d'un coucou.

Imaginez le nombre de plants qui doivent pousser au Québec.

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DES «TOURS DE POT»

Méconnu du commun des mortels, le concept de «tour de pot» est connu de la plupart des pilotes éparpillés dans les nombreux petits aéroports du Québec.

Le concept est simple: des gens qui ont des visées sur ce type de culture louent des avions dans le but de repérer des plantations pour ensuite aller y faire une razzia.

Les gens qui s'offrent ce type d'excursion grimpent à bord d'appareils avec un GPS, histoire de repérer les plantations. Ils usent d'imagination pour justifier cette balade un peu louche. «Quelqu'un a déjà essayé de se faire passer pour un voyant qui cherchait des esprits», dit en soupirant notre pilote, qui a éconduit le pseudo-médium.

COMMENT RECONNAÎTRE UNE INSTALLATION

- Des parcelles de végétation de couleur vert lime, non visibles à partir de la route ou dissimulées parmi des plantations légitimes.

- Des conduites reliant des sources d'eau à des parcelles de végétation dans des endroits isolés.

- Des pompes, des génératrices ou tout autre équipement qu'on ne trouve pas habituellement dans un bois.

- Des sentiers apparents qui débouchent sur des clairières.

Source: brochure de la GRC distribuée dans les petits aéroports du Québec



PIÈGES À OURS


Certains mariculteurs n'hésitent pas à utiliser des pièges à ours, des tapis cloutés et même des mécanismes reliés à la détente d'une arme à feu pour protéger leurs plantations. Des agriculteurs abîment parfois leur machinerie en heurtant des barbelés déployés autour des plantations.



NOMBRE DE PLANTS DE POT SAISIS PAR CISAILLE


2007: 551 991

2008: 517 416

2009: 511 939

2010: 450 131

2011: 201 622

2012: ND

Source: SQ

La SQ impute la baisse draconienne du nombre de plants saisis en 2011 aux intempéries et non à un manque de budget ou d'efforts. Ces chiffres ne tiennent pas compte des serres hydroponiques (intérieures) démantelées.