Dans la rue comme en prison, il faisait peur. Avec son gabarit imposant et ses deux larmes tatouées sous l'oeil droit, Chénier «Big» Dupuy correspondait à l'image du «dur de dur» typique de l'univers ultraviolent des gangs de rue. Mais lorsqu'on lui a demandé de parler de sa mère, pendant son dernier procès, le chef des Bo-Gars n'a pu retenir ses larmes.

Le colosse, pourtant capable de crier dans la salle d'audience, de s'insurger contre «les policiers qui disent n'importe quoi» et d'interpeller le juge par un «Yo, man!» bien senti, avait dû faire une pause. Il a reniflé et essuyé ses larmes en racontant que sa mère était morte lorsqu'il n'était qu'un enfant. Il a affirmé être ensuite allé vivre «chez une madame» qui l'avait accueilli.

«C'était quelque chose qui l'avait marqué. Et il n'a jamais eu vraiment l'occasion d'exprimer des sentiments», a confié une source qui a côtoyé Dupuy.

À Montréal-Nord, Dupuy a grandi aux côtés de son frère aîné Charles-Yves, que la police a fiché comme un membre des Master-B, le premier gang de rue fondé à Montréal-Nord.

Des cendres des défunts Master-B sont nés les Bo-Gars, principalement composés de jeunes d'origine haïtienne, dont plusieurs ont fréquenté la polyvalente Henri-Bourassa.

Dès l'âge de 15 ans, Dupuy a été arrêté à maintes reprises pour une série de crimes, souvent violents. Il sera condamné pour vol qualifié, voies de fait, trafic de drogue, possession d'armes. En 2008, il a même attaqué un policier lavallois en lui fonçant dessus avec sa Mercedes.

Selon un rapport des agents de renseignement du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Dupuy avait des liens avec une cinquantaine de membres et de relations des Bo-Gars. Il était connu, de ses alliés comme de ses rivaux, comme le chef. Sur des extraits d'écoute électronique, on l'entend dire à sa soeur qu'à titre de chef, il doit «défendre le quartier».

Mais en 2010, lors de son procès pour la possession de 900 roches de crack, 362 grammes de cocaïne et deux kilos de cannabis, il avait tenté - sans grand succès - de minimiser l'importance de son organisation.

«Moi, je ne sais pas qui est Bo-Gars, pas Bo-Gars. Moi, la seule affaire que je sais, c'est que oui, on est une gang d'amis, on a fait des centres d'accueil, il y en a qui ont décidé de prendre un chemin, puis il y en a qui ont adhéré, qui sont débarqués. Il y en a qui ont été victimes, qui sont débarqués, qui ont fait de la prison, qui sont débarqués», avait-il lancé rageusement.